Document UN
Ne vous étonnez pas de tout que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la métempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacré,
Avant de commencer le grand concert sacré,
Le moineau, le buisson, l’eau vive dans le pré,
La forêt basse, énorme, et l’aile et la corolle,
Tous ces doux instruments m’adressent la parole ;
Je suis l’habitué de l’orchestre divin ;
Si je n’étais songeur, j’aurais été sylvain.
J’ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,
J’ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,
A force de parler doucement à la feuille,
A la goutte de pluie, à la plume, au rayon,
Par descendre à ce point dans la création,
Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,
Que je ne fais plus même envoler une mouche !
Le brin d’herbe, vibrant d’un éternel émoi,
S’apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s’apercevoir que je suis là, les roses,
Font avec les bourdons toutes sortes de choses ;
Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,
J’avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,
N’a plus peur de moi que nous n’aurions de crainte
Nous, si l’œil du bon Dieu regardait dans nos trous ;
Le lis prude me voit approcher sans courroux
Quand il ouvre aux baisers le jour ; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette ;
Je suis pour ces beautés l’ami discret et sûr ;
Et le frais papillon, libertin de l’azur
Qui chiffonne gaîment une fleur demi nue,
Si je viens à passer dans l’ombre continue
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit : « Es-tu bête ! Il est de la maison. »
Août 1835
Victor Hugo, Contemplations, livre premier
DOCUMENT DEUX
Ici même je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celles-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère – la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l’eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l’onde par mes jambes – et l’absence d’horizon. Sur le rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l’eau, le duvet blond et la poussière de sel.
Je comprends ici ce qu’on appelle la gloire : le droit d’aimer sans mesure. Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine des soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté ; elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. Pourtant on me l’a dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tous leurs savoir-vivre.
Albert Camus
Noces (1938)
Document TROIS :
Pendant un très long temps, l’idée ne pouvait même venir à l’homme qu’il eût à user de ménagements à l’égard de la nature, tant celle-ci lui apparaissait hors de proportion avec les effets qu’il était capable d’exercer sur elle. Mais voilà que depuis quelques décennies, la situation se retourne… Par suite de la prolifération effrénée des êtres humains, par suite de l’extension des besoins et des appétits qu’entraîne cette surpopulation, par suite de l’énormité des pouvoirs qui découlent des progrès des sciences et des techniques, l’homme est en passe de devenir, pour la géante nature, un adversaire qui n’est rien moins que négligeable, soit qu’il menace d’en épuiser les ressources, soit qu’il introduise en elle des causes de détérioration et de déséquilibre
Désormais, l’homme s’avise que, dans son propre intérêt bien entendu, il lui faut surveiller, contrôler sa conduite envers la nature, et souvent protéger celle-ci contre lui-même. Ce souci, ce devoir de sauvegarder la nature, on en parle beaucoup à l’heure présente ; et ce ne sont pas seulement les naturalistes qui en rappellent les nécessités : il s’impose à l’attention des hygiénistes, des médecins, des sociologues, des économistes, des spécialistes de la prospective, et plus généralement à tous ceux qui s’intéressent à l’évolution de la condition humaine…
Multiples sont, de vrai, les motifs que nous avons de protéger la nature. Et d’abord en défendant la nature, l’homme défend l’homme : il satisfait à l’instinct de conservation de l’espèce. Les innombrables agressions dont il se rend coupable envers le milieu naturel –envers l’environnement comme on prend coutume de le dire – ne sont pas sans avoir des conséquences sur sa santé et sur son patrimoine héréditaire. Protéger la nature, c’est donc, en premier lieu, accomplir une tâche d’hygiène planétaire.
Mais il y a en outre le point de vue, plus intellectuel mais fort estimable, des biologistes qui, soucieux de la nature pour elle-même, n’admettent pas que tant d’espèces vivantes -irremplaçables objets d’étude – s’effacent de la faune et de la flore terrestre et qu’ainsi, peu à peu, s’appauvrisse par la faute de l’homme le somptueux et fascinant musée que la planète offrait à nos curiosités.
Enfin il y a ceux-là, et ce sont les artistes, les poètes, et donc un peu tout le monde, qui, simples amoureux de la nature, entendent la conserver parce qu’ils y voient un décor vivant et vivifiant, un lieu maintenu dans la plénitude originelle, un refuge de paix et de vérité – « l’asile vert cherché par tous les cœurs déçus »- parce que, dans un monde envahi par la pierraille et la ferraille, ils prennent le parti de l’arbre contre le béton, et ne se résignent pas à voir le printemps silencieux
Jean ROSTAND, biologiste, préface de L’homme ou la Nature ? Ed. Hachette (1965)
Document Quatre
Que restera-t-il à la fin du siècle prochain de trois des quatre éléments qui, aux yeux de nos ancêtres grecs, constituaient notre univers : la terre, l’eau, l’air le feu ? Les activités humaines, industrielles, agricoles, de transport et de loisirs, perturbent tous les milieux naturels. L’air des grandes agglomérations est fortement pollué et, à l’échelle de la planète, les menaces liées à la diminution de la couche d’ozone ou à l’augmentation des gaz à effet de serre sont loin d’être parfaitement appréhendées par les scientifiques. Nous consommons aujourd’hui 5% de l’eau de pluie, et ce chiffre doublera avant la fin du nouveau siècle. Les sols subissent l’agression d’une agriculture intensive, de la pollution industrielle et de la déforestation La démographie, la mondialisation des échanges économiques et de l’agriculture, la concentration de plus en plus forte des populations dans les grandes mégapoles, en particulier dans le tiers monde, ne font qu’amplifier cette crise en devenir. ne font La prise de conscience des dangers que nous faisons courir aux équilibres de notre planète est loin d’être suffisante. Nous croyons encore que la technologie et le progrès scientifique nous permettront de régler les problèmes à temps. Mais rien n’est moins sûr : le rythme et l’amplitude des modifications de l’environnement terrestre sont bien plus rapides et déjà largement supérieurs aux variations naturelles révélées par les archives glaciaires et sédimentaires, qui portent le témoignage de l’évolution der la Terre au cours des 400 000 dernières années. De plus, notre connaissance du système est encore bien fragmentaire, et nous avons appris au cours des dernières décennies que sa complexité le rend largement imprévisible du fait des échanges permanents entre les océans, l’atmosphère et la biosphère. Un contexte général d’incertitude scientifique dominera donc les prochaines décennies, qui tient pour une large part au fait que l’environnement terrestre se modifie à un rythme plus rapide que celui auquel nous en comprenons les mécanismes. Sa nature chaotique, aujourd’hui révélée, limite de plus fortement nos capacités d’anticipation. C’est à un changement complet de nos priorités qu’il nous faut donc procéder aujourd’hui en plaçant l’environnement au centre de nos préoccupations. Mais la tâche est difficile, qui implique une démarche globale combinant une volonté politique forte, une mise en cohérence des choix publics et privés en matière d’utilisation de l’énergie, et une utilisation pragmatique des instruments économiques. Les enjeux sont planétaires et se posent en terme de survie pour les deux tiers de l’humanité. Par leurs actions ou leurs modes de développement qu’ils ont imposés au Tiers Monde, les pays du Nord sont les principaux responsables de leurs problèmes d’environnement. Le scientifique ne peut se tenir à l’écart de ces débats et, loin des peurs millénaristes, il lui appartient de présenter aux citoyens et aux décideurs le consensus minimum exprimé au sein de la communauté auquel il appartient. L’incertitude scientifique, condition nécessaire du progrès des connaissances, ne doit pas se transformer en controverse stérile. Dans le jeu complexe d’acteurs qui conduit à la décision, la multiplication des lieux d’échange et de débat est certainement une condition nécessaire à une approche rationnelle des problèmes. Pour autant que ces formes essentielles de la démocratie soient respectées, les problèmes d’environnement pourront alors demeurer accessibles à la démarche scientifique et au choix politique, nous permettant ainsi d’en conserver la maîtrise.
Gérard Mégié, climatologue, « A quoi pensez-vous », supplément Libération, 1er Janvier 2000
Plan détaillé :
I Un constat alarmant
- Un mythe s’est effondré : la nature géante et indestructible ( Rostand/ )
- Ce mythe postulait un rapport idyllique avec la nature (Hugo/ Camus)
- L’industrialisation dégrade l’environnement. (Tazieff/ Mégié)
- Incertitude scientifique quant à la portée réelle de cette dégradation. (Mégié)
- les pays du Nord mettent en danger l’équilibre planétaire.(Mégié)
II Une nécessaire prise de conscience
- Par les pays du Nord (Mégié)
- Que la science n’a pas de « solution miracle (Mégié) et qu’il est nécessaire de placer l’environnement au cœur du débat (Tazieff, Mégié)
- Que défendre la nature c’est défendre l’intérêt des hommes. (Rostand/ Camus)
- Que le rapport qui unit l’homme à la nature n’est pas seulement d’ordre pragmatique, mais également esthétique (le musée somptueux de Rostand) érotique (Camus) et pour certains religieux ou sacré (Hugo)
- Que l’homme en définitive est un élément de la nature (Camus)
III Les conditions d’une réussite
- concilier des polémiques intégristes (« écolos/industriels » Tazieff)
- sortir des débats stériles, millénaristes ou utopiques (Mégié)
- harmoniser les enjeux politiques et vitaux (Tazieff/ Mégié)
- dépasser le seul souci des contemporains (Rostand, Mégié)
- Tenir compte de la variété des points de vue (Rostand, Hugo/ Camus)
- Et agir de façon efficace en gardant la maîtrise démocratique du débat (Mégié)