dimanche 7 novembre 2010

Jeunisme

BTS CI Novembre 2010

Vous ferez de ces quatre documents une synthèse objective, concise et ordonnée
-  Gabriel CHEVALLIER , Chemins de solitude , Ed Cartier,, 1945
 -.Philippe CANTEFIER, « Généalogie des temps difficiles » Revue Esprit, 2002
- Robert REDEKER, « La mort de la mort »  Le Monde le 01er novembre 2008)
-  Francisco DE GOYA  ( 1746-1828 ) . Les Vieilles ( entre 1810 et 1812 ).
     

Document un

Dans cette page extraite de Chemins de Solitude (1945) l’écrivain Gabriel Chevallier évoque le temps de son enfance et les vieux qu’il connut alors, gens de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle nés aux alentours de 1830 :

«Je n’ai pas connu ces vieilles gens dans la pleine activité de leurs jours et soumis à la tyrannie des passions. Je ne revois que leurs visages austères de la fin, déjà desséchés, alors que, tout étant pour eux accompli, ils ne pouvaient rien retoucher à leur aventure humaine. N’envisageant plus que l’inéluctable, ils s’apprêtaient à faire devant lui bonne contenance.
Ces ancêtres longtemps oubliés, je sais que je me les représente parés d’un prestige qui tient à ce que l’âge de leur renoncement a coïncidé avec celui de mes premières espérances. Car je sais qu’il fut aussi un temps où je dus lutter contre eux, les renier en quelque sorte, pour aller de l’avant. Je désirais, pour jouer ma partie, ne pas sentir peser sur moi leur air de sévérité et d’ironique expérience. J’aurais été embarrassé de leur expliquer mes actions, non que j’aurais eu à en rougir, mas j’aurais craint leurs moqueries et leurs maximes désenchantées. Je sentais trop l’écart : ils avaient vécu et j’apprenais à vivre.
Ces êtres qui sont déjà dans la tombe près d’un demi-siècle d’avance sur moi, je me sais aujourd’hui leur pair. Par ma propre vie, je mesure la leur, dont j’évalue les limites. Je devine ce que cachaient les attitudes qui m’imposaient jadis. C’est la raison qui fait que je reviens maintenant sans crainte à ces vieillards que j’ai à peine entrevus, figés dans leur sagesse dernière, pour les interroger sur un temps différent du mien et qui fut peut-être plus heureux.
Mais je me dis d’autre part que leur temps a précédé le nôtre, que dans la suite des siècles et des enchaînements de familles ou de générations, nous sommes tous solidaires du résultat à quelque échelon qu’il survienne. Tout cela ne prouve peut-être qu’une chose : que j’atteins un âge où l’on accepte l’idée du submergeant chaos où les êtres s’engloutissent pêle-mêle quelle qu’ait été la somme de leurs œuvres.
Il y avait encore cela chez les vieilles gens dont je parle, cela qui parfois m’écartait d’eux avec crainte : une lueur glacée de leur regard qui me semblait, à tant de questions que j’aurais voulu poser, une réponse sardonique, venue du plus profond d’un grand désespoir. Je sais maintenant qu’il s’agissait de l’incurable désespoir des hommes, ce ma qui donne aux vieillards un air de mendiants. Je sais qu’ils mendiaient quelques jours supplémentaires de chaleur sur leurs vieux os, quelques jours pour voir encore briller le soleil, frémir les branches, glisser les nuages, et qu’ils ont des moments de haine pour la jeunesse, parce qu’elle ne se pose pas à tout instant la question de l’heure, la question du terme. »
Gabriel Chevallier, Chemins de Solitude, Paris, Lyon, Cartier, 1945




Document 2 :
Qu’est-ce qui sépare et cloisonne l’univers des jeunes et celui des vieux ? En tout premier lieu, sans aucun doute, le rejet de la vieillesse. Signe des temps, ce rejet n’a sans doute jamais été aussi vif et sournois que dans la société libérale, puisque le culte de la performance et la chasse au profit qu’elle prône sans cesse s’accommodent très mal de ce qu’incarnent les personnes âgées : Dans cet univers de marques où beauté et séduction paraissent être les seules valeurs authentiques et les seuls langages dignes d’attention, les vieux disent aux jeunes avec trop d’évidence ce qu’inexorablement, et malgré toute la puissance du monde, ils deviendront un jour. Tandis que les medias dominants conditionnent les esprits et prônent partout le culte de nouveauté perpétuelle et de la rentabilité immédiate, suprême utopie, ce qu’expérimentent dans leur déclin irréversible les vieilles générations, c’est l’ironique et intraitable leçon du temps, laquelle jette à la figure de qui contemple leurs rides, leurs gestes étroits et leurs petits pas, le prochain déclin de toutes et de tous. Ce rejet, cette mise à l’écart est ainsi l’expression compréhensible de la peur de la mort.
 Jacques Brel, un jour, l’a magnifiquement chanté :
 «Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
»
Cette société, dans son ensemble, ne peut-donc qu’être de plus en plus sévère à l’égard des inactifs, vite catalogués comme dépendants, puis comme parasites. A moins de devenir un marché – celui des maisons de retraite, des services et divertissements pour seniors à la bourse encore garnie, la vieillesse ne peut qu’être perçue comme une sorte de scandale : d’où cette « convention obsèques » récemment inventée afin de décharger ses enfants de toute dépense occasionnée par son enterrement
Combien de temps encore subsistera l’idée qu’on a des devoirs envers les anciens, à commencer par celui d’honorer leur mémoire en leur offrant, telle Antigone à son frère, une sépulture décente, dans une société qui, à travers l’illusion du rester jeune et du vivre éternellement,  ne privilégie plus que les droits les plus individuels ?
Philippe Cantefier, « Généalogie des temps difficiles » Revue Esprit, 2002


Document 3 :
Il n'est pas dit que nos arrières petits-neveux prendront, comme nous, le chemin du cimetière à chaque Toussaint. L'évolution des biotechnologies pourrait, en effet, mettre la mort en danger. Très bientôt l'espérance de vie aura doublée par rapport à ce qu'elle était au début du XXème siècle. Certains, en s'appuyant sur les promesses des cellules-souches, sur la régénération, sur la cryonie[1] et sur les transplantations d'organes envisagent même à terme la mort de la mort. Faut-il s'en réjouir ?
Dans quel monde vivons-nous ? Celui des crèmes anti-âge vendues sur l'air du «parce que vous le valez bien ». Celui du viagra et des pilules-minceurs pour femmes ménopausées ? (…) Celui d'une extraordinaire nouveauté : l'enfant contemporain, élevé comme un immortel, c’est-à-dire dans l'ignorance de sa mortalité. Ces symptômes sociaux traduisent l'emprise croissante d'une bio-utopie : celle de la vie n'évoluant ni vers le vieillissement ni vers la mort..

La régénération, qui commence avec les cosmétiques des dames entre deux âges mais dont l'aboutissement s'accomplit dans l'effacement de la mort, est la pire ennemie de la génération, et donc de la jeunesse du monde. Nietzsche craignait de voir se multiplier des « générations d'enfants aux cheveux gris ». Mais c'est l'inverse, tout aussi effrayant, qui se produit : des générations de vieillards à visages et corps juvéniles. De cette façon la vieillesse est en train de phagocyter la jeunesse. Combien de femmes quinquas redeviennent des poupées Barbie ? Combien de grand-pères travaillent leur apparence pour conserver un look de trentenaires ? Pourtant, si la bio- utopie immortaliste se réalise, le résultat sera bien plus radical : la vieillesse aura fait disparaître la jeunesse. Le signe distinctif de la jeunesse : l'avenir. Le signe distinctif de la vieillesse : le passé. Or, la particularité des vieillards aux visages juvéniles qui peupleront la terre une fois que la mort aura disparue s'exprimera ainsi: n'avoir ni passé (du fait de la régénération) ni avenir (du fait de la disparition de la mort). L'avenir est lié à la mortalité. N'a d'avenir que celui qui doit mourir.
La mort de la mort constitue ainsi une menace pour l'humanité elle-même. Le rêve d'immortalité est le rêve de la fin de l'humanité. Le recueillement de la Toussaint - dernier avatar de ce culte des morts  dont chacun sait qu'il est signe d'humanité - nous rappelle que pour rester des hommes nous devons protéger la mort autant que la vie, assumer le défi de notre mortalité. La disparition de la mort serait en effet la vraie mort de l'homme
Robert Redeker pour Le Monde le 01er novembre 2008


Document 4 : Francisco de Goya y Lucientes ( 1746-1828 ) .  Les Vieilles ( entre 1810 et 1812 ).






[1] La cryonie est un procédé de cryoconservation (conservation à très basse température) d'humains ou d'animaux dont la subsistance ne peut plus être médicalement assurée, dans l'espoir de pouvoir les ressusciter ultérieurement

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