samedi 17 décembre 2011

Gourmandise et gastronomie (synthèse)

En vous aidant si besoin des six leçons de méthodologie dans la colonne de droite (méthodologie de la synthèse), vous ferez de ces quatre documents une synthèse objective, concise et ordonnée.

DOCUMENT UN : Florent Quellier, Gourmandise, histoire d’un péché capital, Armand Colin, 2010
DOCUMENT DEUX : Jean de La Bruyère, Caractères, « De l’Homme », 1688
DOCUMENT TROIS : Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Charpentier, 1842.
DOCUMENT QUATRE : René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix chez les Helvètes, le banquet final (1970)


DOC. 1
« Glouton », « gourmet », « gourmand », trois acceptions discordantes pour un même mot. En Occident, gourmandise renvoie à trois sens correspondant grosso modo à trois temps historiques. Le sens le plus ancien désigne les gros mangeurs et les gros buveurs  ainsi que tous les excès de gueule du Gargantua (1535) de François Rabelais. Fortement négatif, le mot « gourmandise » qualifie un horrible vice. L’espagnol gula et goloso, golosoría, l’italien gola, le portugais gula et guloseima, gulodice dérivent du latin gula [gosier] désignant « la gourmandise », l’un des sept péchés capitaux codifiés par le Moyen Âge chrétien, et lié à l’exclusion d’Adam et Eve  hors du jardin d’Eden.
Progressivement, « gourmandise » s’enrichit d’un sens positif qui a triomphé en France aux XVIIe-XVIIIe siècles et a imposé le français « gourmet » dans les langues européennes. Devenue honnête, friande et gourmette, la  bonne gourmandise désigne les amateurs de bonne chère, de bons  vins et de bonne compagnie. Mais le glouton sévit encore. Toujours réprouvé par l’Église et les moralistes, il encourt désormais la sanction sociale par assimilation au sale goinfre sans éducation, ce gueux hideux et affamé. Au pluriel,  enfin, «gourmandise »  devient synonyme de « friandises » et renvoie à la galanterie, au mignotage et au grignotage hors repas. Liées un temps au salé, les gourmandises s’arriment fortement au règne du sucré aux XVIIIème et XIXème  siècles, à un monde sexué réservant les friandises aux femmes et aux enfants, le goût de la bonne chère et des bons vins aux hommes. Par une féminisation et une infantilisation accrues, cette dernière acception conduit à une nette dévalorisation du mot « gourmandise », le terrible péché capital devenant un défaut  naturel d’individus perçus comme immatures.
Créé à partir de gastro [estomac] et de nomos [règle], par l’avocat Joseph Berchoux (1775-1838),  dans un poème publié en 1801, le mot « gastronomie » désignera  l’art de bien manger et « gastronome », l’amateur de bonne chère.
Par le suffixe nomos sont évoqués, à la fois, la notion de maîtrise,  autrement dit une passion raisonnable, et le respect des bonnes  manières. On ne badine pas avec la gastronomie.  La  récente affirmation de sa dimension patrimoniale et identitaire,  tout comme la tentative de création d’un hybride tenant à la fois  du gourmand bon vivant, du gourmet amateur de terroirs et du  gastronome élitiste, sont les voies actuellement fréquentées afin d’assurer de nouveau à la gourmandise une légitimité sociale.
Florent Quellier, Gourmandise, histoire d’un péché capital, Armand Colin, 2010
                                                          

DOC 2

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre(1) de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes (2), les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut (3)  et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier (4) ; il écure (5) ses dents, et il continue à manger. Il se fait quelque part où il se trouve, une manière d’établissement (6), et ne souffre pas d’être plus pressé (7) au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient (8) dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes (9), équipages (10). Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain.
Jean de La Bruyère, Caractères, « De l’Homme », 1688

1 Son propre : sa propriété.
2 Viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.
3 Manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.
4 Râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.
5 Écurer : se curer.
6 Une manière d’établissement : il fait comme s’il était chez lui.
7 Pressé : serré dans la foule.
8 Prévenir : devancer.
9 Hardes : bagages.
10 Équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).
11 Réplétion : surcharge d’aliments dans l’appareil digestif.


DOC 3

Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être mangé ; son but direct, la conservation des individus, et ses moyens d'exécution, la culture qui produit, le commerce qui échange, l'industrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout disposer pour le meilleur usage.
La gastronomie considère le goût dans ses jouissances comme dans ses douleurs ; elle a découvert les excitations graduelles dont il est susceptible ; elle en a régularisé l'action, et a posé les limites que l'homme qui se respecte ne doit jamais outrepasser.
La gastronomie considère aussi l'action des aliments sur le moral de l'homme, sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses perceptions, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il agisse, soit qu'il repose. Les connaissances gastronomiques sont donc nécessaires à tous les hommes, puisqu'elles tendent à augmenter la somme du plaisir qui leur est destinée.
La gastronomie occupe donc tous les états de la société ; car si c'est elle qui dirige les banquets des rois rassemblés, c'est encore elle qui a calculé le nombre de minutes d'ébullition qui est nécessaire pour qu'un œuf soit cuit à point. L’utilité des connaissances gastronomiques augmente en proportion de ce qu'elle est appliquée à des classes plus aisées de la société ; enfin elles sont indispensables à ceux qui, jouissant d'un grand revenu, reçoivent beaucoup de monde, soit qu'en cela,  ils fassent acte d'une représentation sociale nécessaire, soit qu'ils suivent leur inclination, soit enfin qu'ils obéissent à la mode.

On sait que chez les hommes encore voisins de l'état de nature, aucune affaire de quelque importance ne se traite, qu'à table ; c'est au milieu des festins que les sauvages décident la guerre ou font la paix ; et sans aller si loin, nous voyons que les villageois font toutes leurs affaires au cabaret.
Cette observation n'a pas échappé à ceux qui ont souvent à traiter les plus grands intérêts ; ils ont vu que l'homme repu n'était pas le même que l'homme à jeun ; que la table établissait une espèce de lien entre celui qui traite et celui qui est traité ; qu'elle rendait les convives plus aptes à recevoir certaines impressions, à se soumettre à de certaines influences ; de là est née la gastronomie politique. Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ce n’est ni un paradoxe ni une nouveauté, mais une simple observation de faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra qu’il ne s’est jamais passé un grand évènement qui n’ait été conçu, préparé et ordonné dans les festins.


Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Charpentier, 1842.



DOC 4 :


Astérix chez les Helvètes, le banquet final (1970)

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