jeudi 30 septembre 2010

Promenades

Synthèse d'entrainement sur le détour - BTS CI  avril 2009


SYNTHÈSE DE DOCUMENTS :
Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des quatre documents suivants :

1. Jean-Jacques RousseauEmile ou de l’Education, 1762
2. Jean Chesneau, De la modernité, La Découverte, 1983
3. Andrzej StasiukFado, Christian Bourgois éd., 2006
4. SERREL'Automobile, Éditions Glénat, 1977


  
DOCUMENT UN
Je ne conçois qu'une manière de voyager plus agréable que d'aller à cheval ; c'est d'aller à pied. On part à son moment, on s'arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d'exercice qu'on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche, on examine tout ce qui nous flatte ; on s'arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie ; un bois touffu, je vais sous son ombre ; une grotte, je la visite ; une carrière, j'examine les minéraux. Partout où je me plais, j'y reste. À l'instant où je m'ennuie, je m'en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n'ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes ; je passe partout où un homme peut passer ; je vois tout ce qu'un homme peut voir ; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir. Si le mauvais temps m'arrête et que l'ennui me gagne, alors, je prends des chevaux. Si je suis las... Mais Émile(1) ne se lasse guère ; il est robuste ; et pourquoi se lasserait-il ? Il n'est point pressé. S'il s'arrête, comment peut-il s'ennuyer ? Il porte partout de quoi s'amuser. Il entre chez un maître, il travaille ; il exerce ses bras pour reposer ses pieds.
Voyager à pied, c'est voyager comme Thalès, Platon et Pythagore(2). J'ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement et s'arracher à l'examen des richesses qu'il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue. Qui est-ce qui, aimant un peu l'agriculture, ne veut pas connaître les productions particulières au climat des lieux qu'il traverse, et la manière de les cultiver ? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l'histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l'examiner, un rocher sans l'écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles ? Vos philosophes de ruelles(3) étudient l'histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets ; ils savent des noms, et n'ont aucune idée de la nature. Mais le cabinet d'Émile est plus riche que ceux des rois ; ce cabinet est la terre entière. Chaque chose y est à sa place : le naturaliste qui en prend soin a rangé le tout dans un fort bel ordre : Daubenton(4) ne ferait pas mieux.
Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager ! sans compter la santé qui s'affermit, l'humeur qui s'égaye. J'ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douées, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants : et les piétons toujours gais, légers et contents de tout. Combien le cœur rit quand on approche du gîte ! Combien un repas grossier paraît savoureux ! Avec quel plaisir on se repose à table ! Quel bon sommeil on fait dans un mauvais lit ! Quand on ne veut qu'arriver, on peut courir en chaise de poste ; mais quand on veut voyager, il faut aller à pied.
jean-jacques rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762.
(1) Emile est le héros fictif du traité d'éducation écrit par Rousseau.
(2) Thalès, Platon et Pythagore, savants et philosophes de l'Antiquité grecque.
(3) La ruelle est l'espace qui séparait, dans les chambres, le lit du mur. L'expression est ici ironique : elle désigne les philosophes qui ne sortent pas de chez eux.
(4) Daubenton, naturaliste contemporain de Rousseau.





DOCUMENT DEUX

L'autoroute nous révèle les pièges, les contraintes et les agressions de la modernité. Elle en est à la fois un reflet fidèle et un opérateur actif.
Au même titre que les tours de Hong Kong, les veaux de batterie ou les experts itinérants de multinationales, l'autoroute est un système " hors-sol ", clos sur lui-même et donc totalement dissocié de l'espace extérieur dans lequel il ne s'insère qu'en apparence. Les rapports à cet espace ambiant, les proximités, les distances, les orientations sont illusoires et factices; on croit passer au ras d'un village ou d'un canal qui sont pourtant inaccessibles sinon au prix de détours rebutants. Le paysage traversé n'est plus qu'un décor que signalent de puérils panneaux codés: un gland pour une forêt, un créneau pour un château médiéval. Mis à part ce décor, les contacts entre la nature et le ruban de béton se limitent à quelques implants, à quelques simulacres destinés à " paysager " ce dernier. La fonction de l'autoroute est d'assurer un déplacement en comprimant le temps au maximum; la relation avec l'itinéraire disparaît. [.. .]
L'autoroute n'existe que comme ensemble de circuits et de flux, qui prolongent et organisent ceux de notre société elle-même ; elle assure une fluidité des transports de marchandises supposée supérieure à celle des trains; elle reproduit et organise la pendularité (1) des activités humaines au travail et hors travail. [...] Mais ces flux collectifs grégaires ne sont que les conglomérats de solitudes, encastrées dans des boîtes métalliques en mouvement. L'autoroute, c'est le degré zéro de la sociabilité: chacun subit individuellement les contraintes communes du système, chacun prolonge sur l'autoroute les impératifs de vitesse et les tensions nerveuses imposées par le travail et la vie qu'on est censé fuir.
Une fois engagé, l'usager est complètement prisonnier de la rigidité de l'autoroute; il n'a plus qu'à obéir à ses injonctions binaires élémentaires: bifurquer à droite ou continuer, ralentir ou non, rouler sur trois ou deux files, allumer ou non ses phares [. ..]. Conduire sur l'autoroute, c'est se laisser mener par une programmation-guidage parfaitement fonctionnelle à l'intérieur de cet espace balisé, calibré, contrôlé par radars et hélicoptères, sinon programmé par ordinateur. On suit, et on est pourtant soumis aux aléas du moment, bouchons, intempéries ou accidents, sans disposer d'aucune issue alternative, au propre comme au figuré. Le cheminement de l'usager, son " à-venir " sont profilés selon une trajectoire univoque, obligatoire et irréversible. La rigidité du système est manifeste en cas d'accident grave, de chutes de neige massives, de brouillards intenses; crise signifie blocage sur place, écrasement dans les carambolages, incapacité sinon interdiction de toute solution personnelle. La vitesse s'inverse en impuissance. A la fois hégémonique (2) et inerte comme la modernité elle-même, l'autoroute est une gigantesque prothèse sociale, un appareillage qui tient dans son étroite dépendance les habitués de ces sousprothèses individuelles que sont les engins motorisés. Gigantisme qui rend nécessaire l'implantation de multiples contrôles techniques et policiers, fixes ou mobiles. L'espace de l'autoroute est parfaitement quadrillé.
Autre trait de rigidité, l'autoroute fonctionne doublement comme un espace social sélectif. Ses conditions d'admission séparent rigoureusement les usagers et les exclus, soit tout ce qui n'est pas mû par un moteur lourd. [...]
L'autoroute, c'est encore la violence subie en permanence, même si elle né se matérialise qu'en cas d'accident. Violence qui est le privilège sinon la jouissance secrète des conducteurs de grosses voitures et de gros engins. Toute 2 CV coincée entre deux mastodontes a ressenti cette insupportable agression latente. [. ..]
Structures hors-sol, perversion du rapport à l'espace, codage, réduction à l'instantané, [. ..] primat des flux et circuits, sociabilité zéro, rigidité, programmation-guidage impérative, réduction binaire, normes sélectives, blocage collectif en cas de crise, avenir univoque et irréversible, dépendance vis à vis des prothèses techniques, contrôle social intense, [...] violence latente, [...] rien de tout cela n'est particulier à l'autoroute, cela fait parte des effets pervers de la modernité.
Et pourtant, qui ne préfère pas l'autoroute! La modernité, c'est aussi la facilité, la simplicité, la commodité...
Jean CHESNEAU, De la modernité, Éditions de la Découverte, 1983


(1) la pendularité : le mouvement de va et vient.
(2) hégémonique : qui tend à confisquer tous les pouvoirs.





DOCUMENT TROIS

Le meilleur, dans un pays étranger, c’est la nuit. On quitte une région au crépuscule, parce qu’elle s’est révélée désespérément ennuyeuse, et on file, disons, droit vers le sud. L’obscurité qui tombe sur les plaines recouvre leur tristesse et, à dix heures du soir, on roule déjà dans un espace noir et limpide. On peut s’imaginer tout un tas de choses, essayer de deviner les contours d’un paysage invisible, les champs, les vergers, les villes de pierre blanche, les églises et les places qui se reposent de la chaleur du jour, on peut tenter de s’arranger avec l’abondance perverse de la matière, le sans-gêne pornographique de l’histoire qui se vautre ventre à l’air après chaque virage, après chaque côte, mais en fin de compte, c’est peine perdue, parce qu’on reste seul avec l’espace qui est la plus ancienne de toutes les choses.
Autoroute A4, autoroute A1, autoroute A13, feux rouges et blancs, bandes qui ‘étirent à l’infini sur le bitume, mirages dans les rétroviseurs, lumière dissoute dans l’air noir et chaud, bifurcations, panneaux indicateurs verts, périphériques et viaducs, rubans d’asphalte emmêlés au milieu desquels bat le cœur des villes, convois de poids lourds comme autant de trains démesurés, traînant dans leur sillage des ombres malodorantes, feux follets des enragés de la voie de gauche – vent soixante-dix , cent quatre-vingts à l’heure, comme s’ils voulaient traverser la nuit de part en part et assister au lever de soleil alors que les autres seront encore à rouler dans l’obscurité… Oui, oui, solitude définitive de l’autoroute où, pendant des heures, on ne voit pas âme qui vive, mais seulement un condensé d’humanité avec son besoin obsessionnel de mouvement et de victoire sur l’infini. Rien que des profils plats, des taches à peine corporelles derrière les vitres, des lucioles de mégots ou des doigts dans le nez. A moins d’arriver dans une station-service où tous ont l’air de victimes potentielles fatiguées et de voleurs alertes et affairés, où sur fond de ciel bleu marine les corps chauds des camions rappellent de gros rochers. Tout cela est à  peine vivant et semble consumer ses dernières forces, c’est en même temps un mouvement perpétuel mort dont le but est de devenir l’éternité.
Oui, le meilleur dans un pays étranger, c’est la nuit sur l’autoroute, parce que le dépaysement s’étend à la terre entière et nous emporte tous sans exception dans son courant.
Andrzej StasiukFado, Christian Bourgois éd., 2006




DOCUMENT QUATRE

SERRE, L'Automobile, Éditions Glénat, 1977



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