samedi 20 novembre 2010

Histoire et générations

SYNTHÈSE (40 points)
Vous ferez de ces quatre documents une synthèse objective, concise et ordonnée
-  François Ricard, La Génération lyrique, Climats, 1992
-  Louis CHAUVEL « Une guerre silencieuse entre les générations », Libération, samedi 24 novembre 2001.
 - Joseph CONFAVREUX et Laurence DUCHENE, extrait de l’« Avant- Propos : chantier politique des générations ; écart générationnel », Vacarme n°47 (Printemps 2009).
- PLANTU (Le Monde, novembre 2008)

ECRITURE (20 points)
La lecture générationnelle est-elle la seule opérante pour lire la crise ?



Doc. UN : François Ricard, La Génération lyrique, Climats, 1992
Appartenir à la génération lyrique, c’est venir au monde dans la joie. Quand j’essaie de me représenter le climat dans lequel nos parents, enfants de la crise et de la guerre, nous ont conçus, l’image qui me vient à l’esprit est pleine de lumière et de fraîcheur. C’est une sorte de matin du monde. La guerre se termine et les hommes comme les femmes sont enfin démobilisés ou le seront prochainement. Leur pays appartient au camp des vainqueurs. Avec leurs alliés, ils ont réussi à terrasser l’ennemi, et leurs valeurs – liberté, tolérance, piété – ont prévalu. Le monde qui s’annonce les comble de ravissement. L’époque est au désir, à l’ascension. Mais eux qui, au fond, n’ont pas appris comment ni quoi désirer, ils ne savent pas ce que c’est qu’une vie gouvernée par le désir et l’attente. Ils n’en sont ni déçus ni désespérés, loin de là. Mais quelque chose leur dit, tout simplement, qu’ils ne sont pas faits pour ces merveilles-là. La procréation aura donc été leur moyen de s’adapter à la conjoncture, d’exprimer le soulagement et la confiance que leur apportait leur époque. Cette terre de promesse, il fallait bien la peupler.
Appartenir à la génération lyrique, c’est donc venir au monde dans le nombre. Non seulement les jeunes affluent en masse innombrable,  mais c’est en outre une masse de plus en plus lente et qui n’en finit plus, dans la durée, de s’accumuler, de grossir, de s’étendre, et ce faisant, de peser davantage. Une nouvelle façon de vivre et d’éprouver la condition de jeune prend ainsi forme et se généralise peu à peu. Au lieu de voir la jeunesse comme une étape ou une transition, garçons et filles s’installent dans la jeunesse pour y demeurer quinze, vingt ans, rejoints pendant tout ce temps par un flot ininterrompu de nouveaux venus qui s’installent à leur tour, sans pour autant les chasser.  Ainsi, tout concourt à donner à l’irruption de la génération lyrique en 68 les caractères d’une véritable invasion.
Quand au lieu de se fondre dans la société et d’être peu à peu absorbés par elle, ils en viennent à former comme une autre population à l’intérieur de l’ancienne, alors le monde est ébranlé dans ses bases même et tout son vieil équilibre interne en est compromis. Dès lors, la position de la jeunesse devient centrale : tout le système, toute la société s’organise dès lors en fonction de la jeunesse, en qui tend à se concentrer la puissance de dicter et d’incarner les normes, de fixer les buts et les valeurs, de justifier et d’inspirer l’action. Il y a eu invasion c’est à dire prise de possession du territoire, éviction des anciens occupants par un groupe nouveau, supérieur en nombre et en vigueur et qui maintenant peut imposer sa loi.

Doc 2 : Louis CHAUVEL « Une guerre silencieuse entre les générations », Libération, samedi 24 novembre 2001.


Pourquoi remettre en selle la question des générations ? N'est-ce pas une vieille lune ?
La vision actuelle, dominante, de la question des générations est un joli conte pour enfants sages : au sein des familles, les générations vivent une idylle, dans un lieu pacifique d'échanges affectifs, d'échanges de services, de solidarité économique inédite... Or, derrière cette façade pacifiée, parfois vraie, hors des murs du foyer, une guerre des générations sociales s'est déroulée. Une guerre silencieuse, inexprimée, qui s'est soldée par un désastre pour les nouvelles générations, nées trop tard, ce que nous n'avons pas encore bien mesuré. Chronos est la figure mythique qui lui correspond : ce dieu qui a châtré son père et dévoré ses enfants. Sa jeunesse éternelle est à ce prix.
Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer cela ?
Cette interprétation finale résulte de constats jusque-là épars, patiemment assemblés, articulés. Aujourd'hui, la situation des nouvelles générations est pire que celle des précédentes. Pour la première fois, un rapport de forces en leur défaveur apparaît ; une redistribution sauvage, de grande ampleur, des revenus s'est réalisée. Sans aucune discussion politique, sans réflexion collective ni débat médiatique. Pour comprendre cette fracture générationnelle, quelques chiffres s'imposent : en 1975, par exemple, les jeunes gagnaient 15 % de moins que leurs parents. Aujourd'hui, ils gagnent 35 % de moins c'est considérable. Imaginez une augmentation équivalente de l'impôt sur le revenu, la violence du débat qui en résulterait. Mais ici, pas un mot. De la même façon, en 1975, un jeune qui terminait ses études entrait sur le marché du travail avec un taux de chômage de 4 % : à l'époque, les patrons se battaient pour le recruter. A partir de 1985, on pleure pour être recruté : à la sortie des études, le taux de chômage est de 33 %. Et l'épreuve du chômage laisse des séquelles durables. Aujourd'hui, heureusement, nous sommes redescendus à 18 %. Mais il reste que ces nouvelles générations ont traversé un long hiver dont elles sortent à peine et l'histoire à venir n'est pas écrite.
Ne s'agit-il pas d'un problème de circonstances historiques et économiques plus que d'un conflit de générations proprement dit ?
C'est en partie vrai. Les générations qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu sont les plus de 55 ans, ceux nés aux environs de 1945. Ces générations ont connu un succès économique et social extraordinaire. Historiquement exceptionnel. Les jeunes de 1968 ont certes obtenu une liberté morale, mais surtout des droits économiques, liés à une dynamique historique, qui leur a donné accès à des situations extraordinaires par rapport à celles de leurs parents. En 68, la misère générationnelle, c'était plutôt les vieux ; désormais, la misère sociale, économique et symbolique, ce sont au contraire les jeunes, que l'on dit "pleins d'avenir". Il existe évidemment de grandes différences entre les classes sociales, mais la moyenne des situations vécues diverge totalement d'une génération à l'autre, ce qui crée le Zeitgeist, l'ambiance, l'esprit du temps où s'épanouira ou non la génération. Ainsi, pour les jeunes d'aujourd'hui, les titres scolaires sont-ils socialement dévalués. Ils subissent une forme de déclassement social par rapport aux parents et une baisse considérable de revenus, qui n'est pas rattrapée en vieillissant. Alors même que les changements culturels ont porté aux nues les valeurs de consumérisme, les marques, les voyages, etc. Aujourd'hui, les voyages forment plus la vieillesse que la jeunesse.
Propos de Louis CHAUVEL recueillis par Emmanuel PONCET,
« Une guerre silencieuse entre les générations », Libération, samedi 24 novembre 2001.



Doc 3 : Joseph CONFAVREUX et Laurence DUCHENE, extrait de l’« Avant- Propos : chantier politique des générations ; écart générationnel », Vacarme n°47 (Printemps 2009).


Les inégalités générationnelles sont criantes, même si les dominants et les dominés en la matière ont pu changer au cours des âges. Hier c’était les vieux qui étaient défavorisés, aujourd’hui ce sont les jeunes : entre les années 1970 et aujourd’hui le taux de pauvreté des plus de 60 ans a été divisé par deux, tandis que celui des 20-30 ans a, lui, été multiplié par deux. On serait en droit de se demander pourquoi les enfants des années 1940 ont connu tout au long de leur vie une situation bien meilleure que celle de leurs prédécesseurs, pourtant contemporains de la croissance des 30 glorieuses durant leur vie professionnelle, et pourquoi leurs successeurs ont peu de chance de connaître une situation au moins semblable à celle de leurs aînés. Ce sentiment de rupture du compromis intergénérationnel, sensible aussi dans la consommation à outrance des énergies fossiles, constitue le motif principal d’une politique des générations à venir. Mais cette dernière ne peut se réduire pour autant à aiguiser les couteaux pour égorger les Fat Cats, comme certains sociologues américains nomment la génération des baby boomers. Confondre politique des générations et guerre des âges, c’est manquer les possibles rebasculements des inégalités d’un âge vers l’autre : ce qui est odieux dans la génération des Fat Pigs— comme les nomment leurs enfants déclassés — n’est pas qu’ils aient bénéficié, à tous les âges, des conditions les meilleures, mais qu’ils sont en partie responsables de ce que les générations suivantes ne peuvent prétendre à un destin similaire. Mais c’est aussi croire que le partage d’une expérience générationnelle (positive ou douloureuse) suffit pour être constitué en génération politique.
Être dominé ne suffit pas pour que l’expérience générationnelle devienne une conscience politique, et la génération demeure une identité floue et fluctuante. Renoncer à une guerre des générations sans renoncer à lutter contre les inégalités intergénérationnelles revient plutôt à proposer une lecture du monde social qui ne serait pas indifférente aux âges, comme on a combattu l’indifférence au sexe ou à la couleur de peau, mais qui ne se réduise pas à ces différences.
La lutte des générations ne peut être pensée autrement que comme l’établissement d’un front démographique contre un autre, que si elle fonctionne comme révélateur — et possible levier de transformation — de structures sociales injustes.

 Doc 4 : PLANTU 

Ce dessin a été publié en novembre 2008, au moment où la crise du capitalisme boursier apparaissait dans toute son ampleur. 


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