Alors que le texte de Jacqueline de Romilly brille par son style littéraire, celui de l’OCDE se déploie sur un ton purement administratif. Là où l’helléniste parsème son discours de figures de rhétorique, les techniciens de l’OCDE s’en tiennent à des recommandations au premier degré. C’est que les deux textes ne s’adressent pas au même lectorat : le premier est un essai destiné au grand public et publié par Julliard ; le second est un rapport plus confidentiel à l’attention de quelques technocrates.
SI les deux textes évoquent un même thème, l’éducation, l’un parle d’enseignement au sens traditionnel, l’autre de formation dans une acception professionnelle. Dès lors, ils ne peuvent que s’opposer quant à la visée essentielle et au contenu de cette éducation ; Pour Jacqueline de Romilly, l’école doit clairement, grâce à un détour par les humanités classiques et la connaissance du monde grec, accoucher de citoyens libres et cultivés ; pour elle l’Etat est en quelque sorte la finalité ultime de l’enseignement. Pour les penseurs de l’OCDE, ce dernier n’est plus qu’un simple agent qui se partage avec d’autres (employeurs et étudiants) le coût global de la formation des gens. C’est que la visée de la formation préconisée n’est pas l’intégration à la cité, mais l’insertion dans l’entreprise et le marché de l’emploi.
Dès les premiers mots (« pour assurer une sortie de crise durable ») les auteurs du rapport de l’OCDE se présentent immergés dans les temps présents, tandis que Jacqueline de Romilly propose au contraire de « faire un détour », voire de prendre du recul (« il faut du temps) ou une certaine hauteur, loin des « petits énarques » et des « petits syndiqués ». Malgré les deux décennies qui séparent ces deux textes, on sent bien qu’ils s’inscrivent dans un débat plus large encore que ces deux dates (1984 et 2009). Lorsque Jacqueline de Romilly nous avoue « qu’elle reste convaincue », nous comprenons que, déjà, la contradiction faisait rage. Et dans l’accumulation des propositions et l’insistance des formulations des rapporteurs, nous sentons bien que de nos jours, le débat n’est pas clos
On est finalement enclin à se demander s’il est aussi légitime que cela de le poser en des termes aussi contradictoires : un seul enseignement ne pourrait-il pas contenir cette part d’éducation « aux choses de l’esprit » que défend Jacqueline de Romilly et cette formation aux exigences de la compétition professionnelle que préconise l’OCDE ? L’opposition entre l’adaptation aux exigences de son temps et la perméabilité aux cultures du passé est-il si radicale ? Telles sont les questions qu’à la lecture de ces documents un lecteur attentif est in fine en droit de se poser.