samedi 17 décembre 2011

Gourmandise et gastronomie (synthèse)

En vous aidant si besoin des six leçons de méthodologie dans la colonne de droite (méthodologie de la synthèse), vous ferez de ces quatre documents une synthèse objective, concise et ordonnée.

DOCUMENT UN : Florent Quellier, Gourmandise, histoire d’un péché capital, Armand Colin, 2010
DOCUMENT DEUX : Jean de La Bruyère, Caractères, « De l’Homme », 1688
DOCUMENT TROIS : Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Charpentier, 1842.
DOCUMENT QUATRE : René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix chez les Helvètes, le banquet final (1970)


DOC. 1
« Glouton », « gourmet », « gourmand », trois acceptions discordantes pour un même mot. En Occident, gourmandise renvoie à trois sens correspondant grosso modo à trois temps historiques. Le sens le plus ancien désigne les gros mangeurs et les gros buveurs  ainsi que tous les excès de gueule du Gargantua (1535) de François Rabelais. Fortement négatif, le mot « gourmandise » qualifie un horrible vice. L’espagnol gula et goloso, golosoría, l’italien gola, le portugais gula et guloseima, gulodice dérivent du latin gula [gosier] désignant « la gourmandise », l’un des sept péchés capitaux codifiés par le Moyen Âge chrétien, et lié à l’exclusion d’Adam et Eve  hors du jardin d’Eden.
Progressivement, « gourmandise » s’enrichit d’un sens positif qui a triomphé en France aux XVIIe-XVIIIe siècles et a imposé le français « gourmet » dans les langues européennes. Devenue honnête, friande et gourmette, la  bonne gourmandise désigne les amateurs de bonne chère, de bons  vins et de bonne compagnie. Mais le glouton sévit encore. Toujours réprouvé par l’Église et les moralistes, il encourt désormais la sanction sociale par assimilation au sale goinfre sans éducation, ce gueux hideux et affamé. Au pluriel,  enfin, «gourmandise »  devient synonyme de « friandises » et renvoie à la galanterie, au mignotage et au grignotage hors repas. Liées un temps au salé, les gourmandises s’arriment fortement au règne du sucré aux XVIIIème et XIXème  siècles, à un monde sexué réservant les friandises aux femmes et aux enfants, le goût de la bonne chère et des bons vins aux hommes. Par une féminisation et une infantilisation accrues, cette dernière acception conduit à une nette dévalorisation du mot « gourmandise », le terrible péché capital devenant un défaut  naturel d’individus perçus comme immatures.
Créé à partir de gastro [estomac] et de nomos [règle], par l’avocat Joseph Berchoux (1775-1838),  dans un poème publié en 1801, le mot « gastronomie » désignera  l’art de bien manger et « gastronome », l’amateur de bonne chère.
Par le suffixe nomos sont évoqués, à la fois, la notion de maîtrise,  autrement dit une passion raisonnable, et le respect des bonnes  manières. On ne badine pas avec la gastronomie.  La  récente affirmation de sa dimension patrimoniale et identitaire,  tout comme la tentative de création d’un hybride tenant à la fois  du gourmand bon vivant, du gourmet amateur de terroirs et du  gastronome élitiste, sont les voies actuellement fréquentées afin d’assurer de nouveau à la gourmandise une légitimité sociale.
Florent Quellier, Gourmandise, histoire d’un péché capital, Armand Colin, 2010
                                                          

DOC 2

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre(1) de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes (2), les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut (3)  et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier (4) ; il écure (5) ses dents, et il continue à manger. Il se fait quelque part où il se trouve, une manière d’établissement (6), et ne souffre pas d’être plus pressé (7) au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient (8) dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes (9), équipages (10). Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain.
Jean de La Bruyère, Caractères, « De l’Homme », 1688

1 Son propre : sa propriété.
2 Viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.
3 Manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.
4 Râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.
5 Écurer : se curer.
6 Une manière d’établissement : il fait comme s’il était chez lui.
7 Pressé : serré dans la foule.
8 Prévenir : devancer.
9 Hardes : bagages.
10 Équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).
11 Réplétion : surcharge d’aliments dans l’appareil digestif.


DOC 3

Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être mangé ; son but direct, la conservation des individus, et ses moyens d'exécution, la culture qui produit, le commerce qui échange, l'industrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout disposer pour le meilleur usage.
La gastronomie considère le goût dans ses jouissances comme dans ses douleurs ; elle a découvert les excitations graduelles dont il est susceptible ; elle en a régularisé l'action, et a posé les limites que l'homme qui se respecte ne doit jamais outrepasser.
La gastronomie considère aussi l'action des aliments sur le moral de l'homme, sur son imagination, son esprit, son jugement, son courage et ses perceptions, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il agisse, soit qu'il repose. Les connaissances gastronomiques sont donc nécessaires à tous les hommes, puisqu'elles tendent à augmenter la somme du plaisir qui leur est destinée.
La gastronomie occupe donc tous les états de la société ; car si c'est elle qui dirige les banquets des rois rassemblés, c'est encore elle qui a calculé le nombre de minutes d'ébullition qui est nécessaire pour qu'un œuf soit cuit à point. L’utilité des connaissances gastronomiques augmente en proportion de ce qu'elle est appliquée à des classes plus aisées de la société ; enfin elles sont indispensables à ceux qui, jouissant d'un grand revenu, reçoivent beaucoup de monde, soit qu'en cela,  ils fassent acte d'une représentation sociale nécessaire, soit qu'ils suivent leur inclination, soit enfin qu'ils obéissent à la mode.

On sait que chez les hommes encore voisins de l'état de nature, aucune affaire de quelque importance ne se traite, qu'à table ; c'est au milieu des festins que les sauvages décident la guerre ou font la paix ; et sans aller si loin, nous voyons que les villageois font toutes leurs affaires au cabaret.
Cette observation n'a pas échappé à ceux qui ont souvent à traiter les plus grands intérêts ; ils ont vu que l'homme repu n'était pas le même que l'homme à jeun ; que la table établissait une espèce de lien entre celui qui traite et celui qui est traité ; qu'elle rendait les convives plus aptes à recevoir certaines impressions, à se soumettre à de certaines influences ; de là est née la gastronomie politique. Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ce n’est ni un paradoxe ni une nouveauté, mais une simple observation de faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra qu’il ne s’est jamais passé un grand évènement qui n’ait été conçu, préparé et ordonné dans les festins.


Jean Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Charpentier, 1842.



DOC 4 :


Astérix chez les Helvètes, le banquet final (1970)

jeudi 8 décembre 2011

La légende du forgeron

Jean Aicard (1848 - 1921)
portrait au fusain par Félix Régamey (vers. 1878).
La légende du forgeron [1]
Un forgeron forgeait une poutre en fer,
Et les dieux, les esprits invisibles de l’air,
Les témoins inconnus des actions humaines,
— Tandis qu’autour de lui bruissait par centaines,
Les étincelles d’or faisaient comme un soleil —,
Les dieux voyaient son cœur à la forge pareil,
Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées,
Etincelles d’amour en tous sens élancés !
Car, tout en martelant le fer de ses bras nus,
Le brave homme songeait aux frères inconnus
A qui son bon travail serait un jour utile ...
Et donc, en martelant la poutre qui rutile,
Il chantait le travail qui rend dure la main,
Mais qui donne un seul cœur à tout le genre humain !

Tout à coup la chanson du forgeron s’arrête :
« Ah ! dit-il tristement en secouant la tête,
Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien :
Une paille [2]est dedans, recommençons. » C’est bien !
Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste,
Il ne plaint pas l’effort de son torse robuste ;
Il sait ce qu’il doit, c’est un travail bien fait,
Qu’une petite cause a souvent grand effet,
Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu’en somme !
Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d’homme !
Les étincelles d’or faisaient comme un soleil,
Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil,
— Etincelles d’amour en touts sens enlacées —
Jaillissaient le courage et les bonnes pensées.

Et la poutre de fer dont l’ouvrier répond
Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d’un pont ;
Et sur ce pont hardi qui fléchit et qui tremble[3]
Voici qu’un régiment — six cents hommes ensemble —
Passe, musique en tête ; et le beau régiment
Sent sous ses pas le pont fléchir affreusement ...
Le pont fléchit, va rompre ... Et les six cents pensées
Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées,
Et, dans le cœur des gens qui voient cela des bords,
La Patrie a déjà pleuré les six cents morts !
Chante, chante dès l’heure où ta forge s’allume
Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume !
Le pont ne rompra pas ! le pont n’a pas rompu !
Car le bon ouvrier a fait ce qu’il a pu,
Car la barre de fer est solide et sans paille ...
Chante, bon ouvrier, chante en rêvant, travaille ;
Règle tes chants d’amour sur l’enclume, et bat dans ta chanson !...
... Les étincelles d’or en tout sens élancées,
C’est le feu de ton cœur et tes bonnes pensées.

L’homme n’a jamais su, l’homme ne saura pas
Combien d’hommes il a soutenu le bras
Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine !
Et pas un soldat, et pas un capitaine
Ne saura qu’il lui doit la vie, et le retour
Au village, où l’attend le baiser de l’amour.
Nul ne dira : « Merci, brave homme ! » à l’home juste
Qui fit un travail fort avec son bras robuste ...
Mais peut-être qu’un jour, quand ses fils pleureront
En rejetant le drap de son lit sur son front,
Quand la mort lui dira le secret de l’oreille[4]
Peut-être il entendra tout à coup ... ô merveille ! ...
Il verra les esprits invisibles de l’air
Lui conter le destin de sa poutre en fer ;
Et lorsqu’on croisera ses pauvres mains glacées,
Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées[5]
Laissant sa vie à tous en exemple, en conseil,
Sentira rayonner son cœur comme un soleil !
Jean AICARD. Le livre des Petits. (1886, Delagrave, édit.)



[1] Poème extrait de Lecture et langue française. LIVRE PRATIQUE A L’USAGE DES ELEVES DES CLASSES DE FIN D’ETUDES. (1947). Les notes sont du livre.
[2] Un défaut du métal, qui peut en compromettre la solidité
[3] Vers 1838, au passage d’un régiment, un pont s’effondra près d’Angers, un des ponts-de-Cé, sur la Loire. Il est possible que jean Aicard (né en 1848)  se soit inspiré de ce fait divers qui aurait frappé les esprits, et dont on parla longtemps
[4] Lorsqu’il apprendra le secret de la mort.
[5] Comprendre : Lui que ses bonnes pensées feront immortel, c'est-à-dire qu’il existera à travers les bons souvenirs qu’on aura gardés de lui.


Consignes :
En une trentaine de lignes, étudiez le point de vue posé par ce poème sur le travail. Pour le replacer dans son contexte, faites une recherche sur Jean Aicard, écrivain à présent délaissé. Vous pouvez faire des remarques sur le style si besoin, mais pas d'analyses détaillées, allez à l'essentiel : un tour d'horizon le plus complet possible des arguments et de l'idée générale.


jeudi 1 décembre 2011

L'Usine (Doisneau)

Robert Doisneau, L'Usine

En vous appuyant sur des éléments précis et en les analysant avec les outils apportés par le cours sur l'image, faites un commentaire d'une trentaine de lignes de l'image ci-dessus.


Doisneau  - Hiver 45


Doisneau  - Cyclo-cross à Gentilly


Au bon coin  - Saint-Denis

L'Utile et le Beau

Dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin écrit en 1835, Théophile Gautier pose la question de la compatibilité de l'Utile et du Beau dans la société de son temps. Occasion pour nous d'explorer la manière dont il fait jouer les différents domaines de la pensée : contre le pragmatisme, domaine que les économistes et les libéraux qui soutiennent Louis-Philippe ont érigé en valeur absolue, le jeune romantique dresse les valeurs de l'esthétique (le poète, la beauté des femmes, de Michel Ange, de Mozart), de l'éthique (peut-on sacrifier une vie au culte de l'économie ?), de l'hédonisme (la gastronomie, le confort, l'érotisme), du rationnel (il pousse le raisonnement de ses contradicteurs jusqu'à l'absurde afin de mettre à jour leurs llimites)
 
 
 
Il y a deux sortes d’utilité, et le sens de ce vocable n’est jamais que relatif. Ce qui est utile pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Vous êtes savetier, je suis poète. – Il est utile pour moi que mon premier vers rime avec mon second. – Un dictionnaire de rimes m’est d’une grande utilité ; vous n’en avez que faire pour carreler une vieille paire de bottes, et il est juste de dire qu’un tranchet ne me servirait pas à grand-chose pour faire une ode. – Après cela, vous objecterez qu’un savetier est bien au-dessus d’un poète, et que l’on se passe mieux de l’un que de l’autre. Sans prétendre rabaisser l’illustre profession de savetier, que j’honore à l’égal de la profession de monarque constitutionnel, j’avouerai humblement que j’aimerais mieux avoir mon soulier décousu que mon vers mal rimé, et que je me passerais plus volontiers de bottes que de poèmes. Ne sortant presque jamais et marchant plus habilement par la tête que par les pieds, j’use moins de chaussures qu’un républicain vertueux qui ne fait que courir d’un ministère à l’autre pour se faire jeter quelque place.
Je sais qu’il y en a qui préfèrent les moulins aux églises, et le pain du corps à celui de l’âme. À ceux-là, je n’ai rien à leur dire. Ils méritent d’être économistes dans ce monde, et aussi dans l’autre.

Y a-t-il quelque chose d’absolument utile sur cette terre et dans cette vie où nous sommes ? D’abord, il est très peu utile que nous soyons sur terre et que nous vivions. Je défie le plus savant de la bande de dire à quoi nous servons, si ce n’est à ne pas nous abonner au Constitutionnel ni à aucune espèce de journal quelconque.
Ensuite, l’utilité de notre existence admise a priori, quelles sont les choses réellement utiles pour la soutenir ? De la soupe et un morceau de viande deux fois par jour, c’est tout ce qu’il faut pour se remplir le ventre, dans la stricte acception du mot. L’homme, à qui un cercueil de deux pieds de large sur six de long suffit et au-delà après sa mort, n’a pas besoin dans sa vie de beaucoup plus de place. Un cube creux de sept à huit pieds dans tous les sens, avec un trou pour respirer, une seule alvéole de la ruche, il n’en faut pas plus pour le loger et empêcher qu’il ne lui pleuve sur le dos. Une couverture, roulée convenablement autour du corps, le détendra aussi bien et mieux contre le froid que le frac de Staub le plus élégant et le mieux coupé.
Avec cela, il pourra subsister à la lettre. On dit bien qu’on peut vivre avec 25 sous par jour ; mais s’empêcher de mourir, ce n’est pas vivre ; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père-la-Chaise.

Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. – On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.
À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu’une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature.  L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines.

Théophile Gautier  - Mademoiselle de Maupin, Préface, 1835

mardi 15 novembre 2011

Céline : les usines Ford à New York en 1930

Charlie Chaplin, Les Temps Modernes

Dans les années 1930, le narrateur se fait engager dans les usines Ford à Detroit, aux États-Unis.

« Ça ne vous servira à rien ici vos études, mon garçon! Vous n'êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu'on vous commandera d'exécuter. .. Nous n'avons pas besoin d'imaginatifs dans notre usine. C'est de chimpanzés dont nous avons besoin ... Un conseil encore. Ne nous parlez plus jamais de votre intelligence! On pensera pour vous mon ami! Tenez-vous-Ie pour dit ».
Il avait raison de me prévenir. Valait mieux que je sache à quoi m'en tenir sur les habitudes de la maison. Des bêtises, j'en avais assez à mon actif tel quel pour dix ans au moins. Je tenais à passer désormais pour un petit peinard. Une fois rhabillés, nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d'où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l'immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. À mesure qu'on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s'entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d'une machine.
On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu'on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble ! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits qui s'écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu'ils déclenchent autour d'eux comme des espèces de silences qui vous font un peu de bien. (…)
Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machine vous écœurent, à leur passer les boulons au calibre, et des boulons encore; au lieu d'en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d'huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge .C' est pas la honte qui les fait baisser la tête .On cède au bruit comme on cède a la guerre. On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C'est fini. Partout ce qu'on regarde, tout ce que la main touche, c'est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n'a plus de goût dans la pensée.
On est devenu salement vieux d'un coup. Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle.

Louis Ferdinand CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, Éditions Denoël,1932.

Dans un développement rédigé, confrontez le document iconographique tiré des Temps modernes de Charlie Chaplin à cet extrait du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.

vendredi 28 octobre 2011

2. Le tableau comparatif

Etonnants voyageurs
Claude Levi Strauss
Paul Nizan
Une tradition littéraire et artistique (Baudelaire, Delacroix…) a célébré l’Orient en proposant aux Occidentaux des images de lui aussi multiples que rêvés.
Depuis que l’uniformité de la civilisation occidentale s’est emparée du monde, la tradition littéraire qui célébrait les voyages
n’est plus pertinente. C’est en réalité une duperie, un mensonge (dernier §)
Les récits de voyage romantiques (1820/2827) grâce auxquels le christianisme songeait à se régénérer ne sont que de pieux mensonges.
Cette tradition a  fait de l’Orient un objet de fantasmes ou de peurs
Cette tradition avait développé un « coffret de promesses » à propos des voyages. Mais nos désirs « sont mortifiés »
Cette tradition était faite d’exotisme, de multiples panoramas, de rêves illusoires de salut. A l’expérience, elle se révèle illusoire, comme une quête sans cesse reconduite.
La réalité géographique de l’Orient est complexe (proche, moyen et extrême)
Tous les continents (Polynésie, Asie, Afrique, Amazonie, Océanie) sont touchés.
Mer Rouge, Océan Indien, delta du Nil, Ethiopie : partout le commerce du pétrole et des épices impose une même réalité décevante
L’Orient, c’est l’altérité absolue : sa sagesse s’opposerait à notre raison, sa sensualité à notre morale, son respect des traditions à notre religion du progrès.
La civilisation occidentale s’est ainsi imposée partout, pas toujours de façon heureuse. C’est la contrepartie désastreuse du progrès, que nous retrouvons dorénavant partout.
La société française s’est construite à partir du sédentarisme. C’est une culture paysanne à laquelle Nizan se dit attaché. C’est aussi une culture politique de défense du sol.
En réalité, Orient et Occident se fascinent et  s’inquiètent mutuellement.
L’ordre et l’harmonie règnent en Occident au prix de l’élimination du reste des cultures.
L’occident possède pourtant de nombreux mythes liés au voyage (Thésée, la reine de Saba, et le dernier dans l’Hadès). Face à cette tradition sédentaire s’est aussi développée une tradition conquérante que Nizan condamne.
La mondialisation des échanges débouchera-t-elle sur une confrontation finale ou une réconciliation ?
L’humanité tout entière s’installe dans la monoculture.
Le voyage est une « suite de disparitions irréparables »
Les organisateurs de  Etonnants voyageurs sont enthousiastes quant à l’aspect légendaire de l’Orient et s’interroge sur  le devenir de la relation entre l’Occident et l’Orient
Les récits de voyages occultent la réalité désastreuse de l’instauration de cette monoculture.
Vouloir faire d’un autre lieu que le pays natal un chez soi est soit « un défi au bon sens », soit une forme de naïveté politique.

Un tableau comparatif permet de structurer correctement la synthèse en reprenant les arguments de chacun des textes du dossier  (ici, les trois premiers textes du dossier sur le voyage) .
Il permet de lire de façon verticale  le déroulement argumentatif de chaque  texte  (une colonne par texte) et de façon verticale ce que chacun des textes avance de chaque argument.
On les rassemble en tenant compte de ce qui s’oppose, se répète, se ressemble.  Cela permet ensuite de grouper les remarques de chaque auteur  par paragraphe.
Le tableau comparatif est une étape indispensable pour établir la problématique et le plan de votre synthèse.
Établir la problématique et le plan forment les deux aspects d'une même démarche, puisqu'on ne peut construire de plan sans problématique préétablie, et que  toute problématique bien posée appelle une logique (un plan) pour être solutionnée. Les deux aspects forment donc une même étape, qui est l’étape suivante de l’élaboration d’une synthèse. 

jeudi 13 octobre 2011

Quand tu aimes, il faut partir

A rendre pour le mardi 18 Octobre

Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises


II y a l'air il y a le vent
Les montagnes l'eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre


Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends


Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler


Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en


Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l'œil
Je prends mon bain et je regarde


Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime

Blaise Cendrars

1) Qui est Blaise Cendrars
2) En quoi le texte de Cendrars est-il encore romantique ? En quoi ne l'est-il déjà plus ?
3) Identifiez des arguments que l'on pourrait placer en regard des trois autres textes (Etonnants Voyageurs, Levi-Strauss, Paul Nizan) dans le tableau comparatif de la synthèse.

mardi 4 octobre 2011

Aden Arabie,Paul Nizan

Qu'on ne me refasse plus le tableau séduisant des voyages poétiques et sauveurs, avec leurs fonds marins, leurs monceaux de pays et leurs personnages étrangement vêtus devant des forêts, des montagnes, des cimes couvertes de neiges éternelles, et des maisons de trente étages.
Je sais à quoi m'en tenir sur les départs dont on parlait en France entre mil neuf cent vingt et mil neuf cent vingt-sept, images déteintes de la vieille mort chrétienne au monde, renonciations au monde contre les promesses les plus solennelles du Bon Dieu, qui parlait d'une recréation, de nouvelles arènes où toute la vie serait complètement restituée. Profusion de visions, de surprises, d'incidents révélés. Abondance de divinités.
Je suis un Français paysan : j'aime les  champs, j'aime même un seul champ, je m'en contenterais pour le reste de mes jours pourvu qu'il y passe des voisins. Je ne veux pas connaître l'absence d'espoir des vagabonds : cela aussi, j'ai su ce que c'était  sur les côtes de la mer Rouge, de l'océan Indien, dans le delta du Nil et ailleurs.  Il fallut de temps en temps me défendre des voyages en regardant Aden (1) comme mon champ, bien que cet effort fût un défi au bon sens. 
Récifs pour récifs, j'aime mieux la terre.
Je rejette les navigations et les itinéraires. On a toujours l'impression qu'on est debout au sommet de quelque chose, qu'on a autour de soi de grandes pentes presque verticales au bas desquelles on roulera, au bas desquelles on se perdra. Tout vous est arraché; les escales arrivent, on descend sur les quais, on espère posséder une ville, des habitants. Pensez-vous ! Le bateau repart, vous avez une fois encore perdu une place humaine et une belle occasion de rester tranquille. C'est le vrai voyage, où l'on referme, comme un coupable dans l'Hadès, ses bras étendus sur la fumée des navires, des brouillards de lumière. Le voyage est une suite de disparitions irréparables.
Renonçons à conquérir des archipels désirables, producteurs de pétroles ou d'épices, où la poésie place de très hautes femmes debout dans des robes de couleur, des soeurs d'Ariane ramassant des fruits de mer, et guettant les descendants de Thésée. En mil neuf cent vingt six, j'ai entendu des gens de commerce parler avec une émotion véritablement sincère de l'entrevue de Salomon et de la reine de Saba, du royaume de Balkis et de la Côte des Aromates. Ils croyaient que ces royaumes sont à leur porte, et il est permis d'espérer qu'un archéologue sensible aux éléments fantastiques de sa science se mette à la recherche d'Ophir, entre Aden et Dafar.
Mais moi, je ne me condamnerai pas à l'enfer des voyages, qu'Ariane meure en paix. Mes ennemis ne peuvent pas compter sur cette naïveté de ma part.

(1) Aden : Ville du Yemen, port naturel, où Nizan se rendit et qui donna en 1931 son titre à son récit, Aden Arabie.


QUESTIONS :   (une trentaine de lignes)

1) Qui est Paul Nizan ? (une dizaine de lignes retenant ce qui vous parait le plus significatif)
2) Elucidez les références culturelles soulignées dans le texte.
3) Quel est le reproche principal que Nizan adresse au voyage ? Comment comprenez-vous la dernière phrase du texte ? 

jeudi 29 septembre 2011

Correction de l’exercice d’écriture 1


Alors que le texte de Jacqueline de Romilly brille par son style littéraire, celui de l’OCDE se déploie sur un ton purement administratif. Là où l’helléniste parsème son discours de figures de rhétorique, les techniciens de l’OCDE s’en tiennent à des recommandations au premier degré. C’est que les deux textes ne s’adressent pas au même lectorat : le premier est un essai destiné au grand public et publié par Julliard ; le second est un rapport plus confidentiel à l’attention de quelques technocrates.
SI les deux textes évoquent un même thème, l’éducation, l’un parle d’enseignement au sens traditionnel, l’autre de formation dans une acception professionnelle. Dès lors, ils ne peuvent que s’opposer quant à la visée essentielle et au contenu de cette éducation ; Pour Jacqueline de Romilly, l’école doit clairement, grâce à un  détour par les humanités classiques et la connaissance du monde grec, accoucher de citoyens libres et cultivés ; pour elle l’Etat est en quelque sorte la finalité ultime de l’enseignement. Pour les penseurs de l’OCDE, ce dernier n’est plus qu’un simple agent qui se partage avec d’autres (employeurs et étudiants) le coût global de la formation des gens. C’est que la visée de la formation préconisée n’est pas l’intégration à la cité, mais l’insertion dans l’entreprise et le marché de l’emploi.
Dès les premiers mots (« pour assurer une sortie de crise durable ») les auteurs du rapport de l’OCDE se présentent immergés dans les temps présents, tandis que Jacqueline de Romilly propose au contraire de « faire un détour », voire de prendre du recul  (« il faut du temps) ou une certaine hauteur, loin des « petits énarques » et des « petits syndiqués ».  Malgré les deux décennies qui séparent ces deux textes, on sent bien qu’ils s’inscrivent dans un débat plus large encore que ces deux dates (1984 et 2009). Lorsque Jacqueline de Romilly nous avoue « qu’elle reste convaincue », nous comprenons que, déjà, la contradiction faisait rage. Et dans l’accumulation des propositions et l’insistance des formulations des rapporteurs, nous  sentons bien que de nos jours, le débat n’est pas clos
On est finalement enclin à se demander s’il est aussi légitime que cela de le poser en des termes aussi contradictoires : un seul enseignement ne pourrait-il pas contenir cette part d’éducation « aux choses de l’esprit » que défend Jacqueline de Romilly et cette formation aux exigences de la compétition professionnelle que préconise l’OCDE ? L’opposition entre l’adaptation aux exigences de son temps et la perméabilité aux cultures du passé est-il si radicale ?  Telles sont les questions qu’à la lecture de ces documents un lecteur attentif est in fine en droit de se poser.

vendredi 23 septembre 2011

Référentiel & descriptif de l'épreuve

 Le but de l’enseignement du français dans les sections de techniciens supérieurs est de donner aux étudiants la culture générale dont ils auront besoin dans leur vie professionnelle et dans leur vie de citoyen et de les rendre aptes à une communication efficace à l’oral et à l’écrit.

Culture générale :


La culture générale est développée par la lecture de tout type de textes et de documents (presse, essais, œuvres littéraires, documents iconographiques, films) en relation avec les questions d’actualité rencontrées dans les médias, les productions artistiques, les lieux de débat.
En première année, le choix des thèmes de réflexion, des textes et documents d’étude est laissé à l’initiative du professeur.
En deuxième année, deux thèmes sont étudiés. Ces thèmes, dont l’un est renouvelé chaque année, font l’objet d’une publication au B.O. Cette publication précise un intitulé, une problématique et des indications bibliographiques qui orientent et délimitent la problématique de chaque thème.

Expression :


Une communication efficace à l’oral et à l’écrit suppose la maîtrise d’un certain nombre de capacités et de techniques d’expression. Cette maîtrise suppose, à son tour, une connaissance suffisante de la langue (vocabulaire et syntaxe) et une aptitude à la synthèse pour saisir avec exactitude la pensée d’autrui et exprimer la sienne avec précision.
Des exercices variés concourent à cette maîtrise : débat oral, exposé oral, analyse des interactions verbales ; analyse et résumé d’un texte, comparaison de textes plus ou moins convergents ou opposés, étude logique d’une argumentation, constitution et analyse d’une documentation, compte rendu d’un livre lu, composition d’une synthèse à partir de textes et de documents de toute nature, rédaction d’un compte rendu, d’une note, d’une réponse personnelle à une question posée, d’une argumentation personnelle.


Épreuve écrite :

Le jour de l'examen, on propose trois à quatre documents de nature différente (textes littéraires, textes non littéraires, documents iconographiques, tableaux statistiques, etc.) choisis en référence à l’un des deux thèmes inscrits au programme de la deuxième année de BTS. Chacun d’eux est daté et situé dans son contexte.



 Première partie : synthèse (notée sur 40)
Le candidat rédige une synthèse objective en confrontant les documents fournis.


 Deuxième partie : écriture personnelle (notée sur 20)
Le candidat répond de façon argumentée à une question relative aux documents proposés.
La question posée invite à confronter les documents proposés en synthèse et les études de documents menées dans l’année en cours de “Culture générale et expression”.
La note globale est ramenée à une note sur 20 points.
Durée : 4 heures (y compris le temps de lecture du sujet).

dimanche 18 septembre 2011

Les classes grammaticales en français

Pour retenir les classes grammaticales, grouper d'abord les cinq classes variables, celles du groupe nominal (noms, déterminants, adjectifs qualificatifs et pronoms) qui varient en genres et en nombres ainsi que le verbe qui varie en personnes, temps, modes. 
Mémoriser ensuite les 5 invariables (adverbes, prépositions, conjonctions de coordination, conjonctions de subordination, interjections et onomatopées) auxquelles on peut rajouter les noms propres qui, bien qu'appartenant à la classe des noms forme un sous-groupe à part : ils ne sont jamais déterminés (sauf parler populaire) et sont invariables. 


mercredi 14 septembre 2011

La subordination

En français, comme dans de nombreuses langues, il existe trois modes de subordination que vous devez connaître par coeur.  On peut en effet compléter soit un nom (subordination relative), soit un verbe (subordination complétive), soit une phrase (subordination circonstancielle). Cliquez sur le nom de chacune entre parenthèses pour un développement.
Les relatives sont introduites par des pronoms relatifs, alors que complétives le sont par des conjonctions (les deux sont donc appelées aussi conjonctives). 


dimanche 11 septembre 2011

Conjugaisons : formes simples et composées


Pour retenir les conjugaisons, distinguer d'abord les formes simples des formes composées (composées d’un auxiliaire suivi  du participe passé). Dans ce type de classement traditionnel, la logique tenue est l’identité du temps de l’auxiliaire (être ou avoir)  avec le temps de la forme simple.
Indicatif : Au présent correspond ainsi le passé composé, à l'imparfait le plus que parfait, au passé simple le passé antérieur, au futur simple le futur antérieur.  Même principe au subjonctif, où présent et imparfait s'opposent aux deux formes du passé (passé composé et plus que parfait). On retrouve même cette opposition à l'impératif, même si la forme composée est très peu usitée. 
On distingue toujours les modes personnels (qui se conjuguent selon les personnes) des modes non personnels (infinitif et participe), qui ne se conjuguent qu'en temps (présent, passé) mais pas en personnes. 
NB : ce tableau ne donne que la première personne. 
Pour rejoindre le site le conjugueur, cliquez ICI

mercredi 7 septembre 2011

Orients rêvés, Orients réels

Ce texte est l'édito 2006 du Festival Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo, consacré à l'Orient.



La route des épices, les longues caravanes de musc, de soies et d’or sur les dunes écarlates, et, passé l’horizon, la promesse de mondes recommencés, de royaumes de merveilles, de civilisations étranges et raffinées pour s’enivrer enfin « d’espace et de lumière et de cieux embrasés » (Baudelaire) : l’Orient. Et peut-être déjà faudrait-il le dire au pluriel : Orients proches et lointains, « moyen » ou « extrêmes » mais toujours « autres » - multiples comme nos rêves de partance, nos fantasmes et nos peurs, dont ils sont le miroir.
Voyageurs et marchands, poètes et conquérants, rêveurs de royaume et mystiques, depuis l’aube des temps n’ont eu de cesse de le trouver, pour se trouver ou pour s’y perdre : est-il de plus beau sujet, pour un festival comme « Etonnants Voyageurs » ? L’Orient, ou la figure même de l’Ailleurs.
Mais où le situer, au juste, cet Orient - puisque la terre est ronde ? Delacroix le trouvait déjà au Maroc, dans l’éblouissement tout à la fois de la lumière et d’une autre culture : il n’aura de cesse, cet Orient, de se déplacer, des sables du désert, jusqu’à la Chine immense, l’Inde mystérieuse, le Japon si lointain - autre manière de dire qu’il est peut-être, d’abord, un continent imaginaire, l’ « Autre » de l’Occident, son double inversé, qui accompagne sa course depuis les origines : l’Empire de la sagesse contre celui de la raison, l’Empire des sens contre nos morales trop étroites, et celui de la Tradition contre notre religion de l’Histoire.

Orients rêvés, Orient réels : qui ne ressent pas que le monde de demain s’invente d’abord là-bas, très loin probablement de nos imageries « exotiques » ? Et cet énorme enfantement tout à la fois fascine et inquiète - où l’on dirait que l’Occident, à son tour, fonctionne pour bien des acteurs comme leur double inversé, désiré et haï.
Orient-Occident : demain le grand affrontement ? Ou bien au contraire la promesse enfin d’un dialogue, d’une pollinisation croisée - quand la terre, enfin, devient ronde ? Cette édition du festival, aussi, comme l’occasion d’une grande rencontre, de multiples débats...
Tous, préparant cette édition, nous avons été fascinés, enthousiasmés, « bluffés » par l’énorme bouillonnement créateur de cet Orient nouveau, la prolifération d’artistes, de cinéastes, d’écrivains novateurs. Nous vous avons fait découvrir l’année dernière les futurs « grands » de la littérature mondiale. Cap cette année sur l’Orient : un monde, à découvrir.

mardi 26 juillet 2011

Christopher Lasch : Les persuadeurs cachés

La montée parallèle et simultanée de la publicité et des relations publiques contribue à expliquer pourquoi la presse a renoncé à sa fonction la plus importante — celle d'agrandir le forum public —en même temps qu'elle devenait plus « responsable ». Une presse responsable, par opposition à une presse partisane ou ancrée dans ses opinions attirait le type de lecteurs que les publicitaires étaient avides de toucher : des lecteurs nantis, qui pour la plupart se considéraient probablement des électeurs indépendants. Ces lecteurs voulaient avoir l'assurance de lire toutes les nouvelles qu'il est convenable de publier et non pas la vision des choses d'un rédacteur en chef, marquée par l'idiosyncrasie et sans doute biaisée. On en est arrivé à ce que responsabilité soit synonyme de recul devant toute controverse, parce que.les annonceurs étaient disposés à payer pour cela. Certains annonceurs étaient également disposés à payer pour du sensationnalisme, quoiqu'au total ils aient préféré un lectorat respectable plutôt que simplement une forte circulation. En tout cas, ce qu'ils ne préféraient pas, c'était de « l'opinion » — non que les arguments philosophiques de Lippmann les aient marqués, mais parce qu'un journalisme aux opinions tranchées ne leur garantissait pas le bon public. Sans doute espéraient-ils aussi qu'une aura d'objectivité, marque caractéristique du journalisme responsable, viendrait déteindre aussi sur les réclames qui entouraient des colonnes de texte de plus en plus minces.
Par un curieux retournement de l'histoire, la publicité, la promotion et les autres formes de persuasion commerciale en sont venues elles-mêmes à se déguiser en information. Publicité et promotion se sont substituées au débat ouvert. « Les persuadeurs cachés » (selon la formule de Vance Packard) ont remplacé les rédacteurs d'antan, les essayistes et les orateurs qui ne faisaient pas mystère de leur engagement partisan. L'information et la promotion sont devenues de plus en plus impossibles à distinguer. L'essentiel des « nouvelles » dans nos journaux — 40 % selon l'estimation optimiste de M. Scott Cutlip, professeur à l'université de Géorgie — est constitué d'éléments qui sont débités par des agences de presse et des offices de relations publiques et régurgités ensuite sans modification par les organes journalistiques « objectifs ». Nous nous sommes habitués à l'idée que l'essentiel de l'espace dans nos quotidiens d'information, si l'on peut dire, soit consacré à la publicité — au moins les deux tiers dans la plupart des quotidiens.
Mais si nous considérons les relations publiques comme une autre forme de publicité, ce qui n'est pas vraiment tiré par les cheveux puisque les deux sont alimentées par des entreprises privées d'inspiration commerciale, il nous faut à présent nous faire à l'idée qu'une grande partie des « nouvelles » est constituée aussi de publicités.
Le déclin de la presse partisane et l'avènement d'un nouveau type de journalisme qui professe des normes rigoureuses d'objectivité ne nous assurent pas un apport constant d'informations utilisables. Si l'information n'est pas produite par un débat public soutenu, elle sera pour l'essentiel au mieux dépourvue de pertinence, et au pire trompeuse et manipulatrice. De plus en plus, l'information est produite par des gens qui désirent promouvoir quelque chose ou quelqu'un — un produit, une cause, un candidat ou un élu — sans s'en remettre pour cela à ses qualités intrinsèques ni en faire explicitement la réclame en avouant qu'ils y ont un intérêt personnel. Dans son zèle à informer le public, une bonne partie de la presse est devenue le canal tout trouvé de ce qui est l'équivalent de cet insupportable courrier promotionnel qui encombre nos boîtes aux lettres. Comme la poste — encore une institution qui servait autrefois à élargir la sphère de la discussion interpersonnelle et à créer des « comités de correspondance » — elle distribue aujourd'hui une profusion d'information inutile, indigeste, dont personne ne veut, et qui pour la plus grande part va finir au panier sans qu'on l'ait lue.
L'effet le plus important de cette obsession de l'information, à part la destruction d'arbres pour fabriquer du papier et le fardeau croissant que représente « la gestion des déchets », est d'affaiblir l'autorité du mot. Quand on se sert des mots comme de simples instruments de propagande ou de promotion, ils perdent leur pouvoir de persuasion. Ils cessent bientôt d'avoir la moindre signification. Les gens perdent leur capacité à se servir du langage avec précision et de façon expressive, ou même à distinguer un mot d'avec un autre. Le mot parlé se modèle sur le mot écrit au lieu que ce soit l'inverse, et la parole ordinaire commence à ressembler au jargon ampoulé que nous trouvons dans les journaux. La parole ordinaire commence à ressembler à de « l'information » — catastrophe dont peut-être la langue anglaise ne se relèvera jamais.
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Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie (1994) - Climats, ch. 9, "L'Art perdu de la controverse"