Il m'a paru déplacé de me présenter comme un « déchiffreur de
songes » avant que vous ne sachiez
l'importance que peut revêtir cet art
dérisoire et suranné. L'interprétation des rêves est, en réalité, la voie
royale de la connaissance de l'inconscient, la base la plus sûre de nos recherches,
et c'est l'étude des rêves, plus qu'aucune autre, qui vous convaincra de la
valeur de la psychanalyse et vous formera à sa pratique. Quand on me demande
comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l'étude de ses
propres rêves. Nos détracteurs n'ont jamais accordé à l'interprétation des
rêves l'attention qu'elle méritait ou ont tenté de la condamner par les
arguments les plus superficiels. Or, si on parvient à résoudre le grand
problème du rêve, les questions nouvelles que soulève la psychanalyse n'offrent
plus aucune difficulté.
Il convient de noter que nos productions oniriques - nos rêves - ressemblent
intimement aux productions des maladies mentales, d'une part, et que, d'autre
part, elles sont compatibles avec une santé parfaite. Celui qui se borne à
s'étonner des illusions des sens, des idées bizarres et de toutes les fantasmagories
que nous offre le rêve, au lieu de chercher à les comprendre, n'a pas la
moindre chance de comprendre les productions anormales des états psychiques
morbides. Il restera, dans ce domaine, un simple profane... Et il n'est pas
paradoxal d'affirmer que la plupart des psychiatres d'aujourd'hui doivent être
rangés parmi ces profanes !
Jetons donc un rapide coup d'œil sur le problème du rêve.
D'ordinaire, quand nous sommes éveillés, nous traitons les rêves avec un
mépris égal a celui que le malade éprouve à l'égard des idées spontanées que le
psychanalyste suscite en lui, Nous les vouons à un oubli rapide et complet,
comme si nous voulions nous débarrasser au plus vite de cet amas d'incohérences.
Notre mépris vient du caractère étrange que revêtent, non seulement les
rêves absurdes et stupides, mais aussi ceux qui ne le sont pas. Notre répugnance
à nous intéresser à nos rêves s'explique par les tendances impudiques et
immorales qui se manifestent ouvertement dans certains d'entre eux.
L'Antiquité, on le sait, n'a pas partagé ce mépris, et aujourd'hui encore
le bas peuple reste curieux des rêves auxquels il demande, comme les Anciens,
la révélation de l'avenir.
Je m'empresse de vous assurer que je ne vais pas faire appel à des croyances
mystiques pour éclairer la question du rêve ; je n'ai du reste jamais rien
constaté qui confirme la valeur prophétique d'un songe. Cela n'empêche pas
qu'une étude du rêve nous réservera de nombreuses surprises.
D'abord, tous les rêves ne sont pas étrangers au rêveur, incompréhensibles et confus pour lui. Si vous vous donnez la peine d'examiner ceux des petits enfants, à partir d'un an et demi, vous les trouvez très simples et facilement explicables. Le petit enfant rêve toujours de la réalisation de désirs que le jour précédent a fait naître en lui, sans les satisfaire. Aucun art divinatoire n'est nécessaire pour trouver cette simple solution ; il suffit seulement de savoir ce que l'enfant a vécu le jour précédent. Nous aurions une solution satisfaisante de l'énigme si l'on démontrait que les rêves des adultes ne sont, comme ceux des enfants, que l'accomplissement de désirs de la veille. Or c'est bien là ce qui se passe. Les objections que soulève cette manière de voir disparaissent devant une analyse plus approfondie.
D'abord, tous les rêves ne sont pas étrangers au rêveur, incompréhensibles et confus pour lui. Si vous vous donnez la peine d'examiner ceux des petits enfants, à partir d'un an et demi, vous les trouvez très simples et facilement explicables. Le petit enfant rêve toujours de la réalisation de désirs que le jour précédent a fait naître en lui, sans les satisfaire. Aucun art divinatoire n'est nécessaire pour trouver cette simple solution ; il suffit seulement de savoir ce que l'enfant a vécu le jour précédent. Nous aurions une solution satisfaisante de l'énigme si l'on démontrait que les rêves des adultes ne sont, comme ceux des enfants, que l'accomplissement de désirs de la veille. Or c'est bien là ce qui se passe. Les objections que soulève cette manière de voir disparaissent devant une analyse plus approfondie.
Voici la première de ces objections : les rêves des adultes sont le
plus souvent incompréhensibles et ne ressemblent guère à la réalisation d'un
désir.
-Mais, répondons-nous, c'est qu'ils ont subi une défiguration, un
déguisement.
Leur origine psychique est très différente de leur expression dernière. Il
nous faut donc distinguer deux choses : d'une part, le rêve tel qu'il nous
apparaît, tel que nous l'évoquons le matin, vague au point que nous avons souvent
de la peine à le raconter, à le traduire en mots ; c'est ce que nous
appellerons le contenu manifeste du rêve. D'autre part, nous avons l'ensemble
des idées oniriques latentes, que nous supposons présider au rêve du fond même
de l'inconscient. Ce processus de défiguration est le même que celui qui
préside à la naissance des symptômes hystériques. La formation des rêves
résulte donc du même contraste des forces psychiques que dans la formation des
symptômes. Le « contenu manifeste » du rêve est le substitut altéré
des « idées oniriques latentes » et cette altération est l’œuvre d'un
« moi » qui se défend ; elle naît de résistances qui interdisent
absolument aux désirs inconscients d'entrer dans la conscience à l'état de veille ;
mais, dans l'affaiblissement du sommeil, ces forces ont encore assez de
puissance pour imposer du moins aux désirs un masque qui les cache. Le rêveur
ne déchiffre pas plus le sens de ses rêves que l'hystérique ne pénètre la signification
de ses symptômes.
Pour se persuader de l'existence des « idées latentes » du rêve
et de la réalité de leur rapport avec le « contenu manifeste », il
faut pratiquer l'analyse des rêves, dont la technique est la même que la
technique psychanalytique dont il a été déjà question. Elle consiste tout
d'abord à faire complètement abstraction des enchaînements d'idées que semble
offrir le « contenu manifeste » du rêve, et à s'appliquer à
découvrir les « idées latentes », en recherchant quelles
associations déclenche chacun de ses éléments.
Ces associations provoquées conduiront à la découverte des idées latentes
du rêveur, de même que, tout à l'heure, nous voyions les associations
déclenchées par les divers symptômes nous conduire aux souvenirs oubliés et aux
complexes du malade. Ces « idées oniriques latentes », qui
constituent le sens profond et réel du rêve, une fois mises en évidence,
montrent combien il est légitime de ramener les rêves d'adultes au type des
rêves d'enfants. Il suffit en effet de substituer au « contenu
manifeste », si abracadabrant, le sens profond, pour que tout
s'éclaire : on voit que les divers détails du rêve se rattachent à des
impressions du jour précédent et l'ensemble apparaît comme la réalisation d'un
désir non satisfait. Le « contenu manifeste » du rêve peut donc être
considéré comme la réalisation déguisée de désirs refoulés.
Jetons maintenant « un coup d’œil sur la façon dont les idées
inconscientes du rêve se transforment en « contenu manifeste ».
J'appellerai « travail onirique » l'ensemble de cette opération.
Elle mérite de retenir tout notre intérêt théorique, car nous pourrons y
étudier, comme nulle part ailleurs, quels processus Psychiques insoupçonnés
peuvent se dérouler dans l'inconscient ou, plus exactement, entre deux systèmes
psychiques distincts comme le conscient et l'inconscient. Parmi ces processus,
il convient d'en noter deux : la condensation et le déplacement. Le
travail onirique est un cas particulier de l'action réciproque des diverses
constellations mentales, c'est-à-dire qu'il naît d'une association mentale.
Dans ses phases essentielles, ce travail est identique au travail d'altération
qui transforme les complexes refoulés en symptômes, lorsque le refoulement a
échoué.
Vous serez en outre étonnés de découvrir dans l'analyse des rêves, et spécialement
dans celle des vôtres, l'importance inattendue que prennent les impressions des
premières années de l'enfance.
Par le rêve, c'est l'enfant qui continue à vivre dans l'homme, avec ses
particularités et ses désirs, même ceux qui sont devenus inutiles. C'est d'un
enfant, dont les facultés étaient bien différentes des aptitudes propres à
l'homme normal, que celui-ci est sorti.
Mais au prix de quelles évolutions, de quels refoulements, de quelles sublimations,
de quelles réactions psychiques, cet homme normal s'est-il peu à peu constitué,
lui qui est le bénéficiaire - et aussi, en partie, la victime - d'une éducation
et d'une culture si péniblement acquises !
J'ai encore constaté, dans l'analyse des rêves (et je tiens à attirer votre attention là-dessus), que l'inconscient se sert, surtout pour représenter les complexes sexuels, d'un certain symbolisme qui, parfois, varie d'une personne à l'autre, mais qui a aussi des traits généraux et se ramène à certains types de symboles, tels que nous les retrouvons dans les mythes et dans les légendes. Il n'est pas impossible que l'étude du rêve nous permette de comprendre à leur tour ces créations de l'imagination populaire.
J'ai encore constaté, dans l'analyse des rêves (et je tiens à attirer votre attention là-dessus), que l'inconscient se sert, surtout pour représenter les complexes sexuels, d'un certain symbolisme qui, parfois, varie d'une personne à l'autre, mais qui a aussi des traits généraux et se ramène à certains types de symboles, tels que nous les retrouvons dans les mythes et dans les légendes. Il n'est pas impossible que l'étude du rêve nous permette de comprendre à leur tour ces créations de l'imagination populaire.
On a opposé, à notre théorie que le rêve serait la réalisation d'un désir,
les rêves d'angoisse. Je vous prie instamment de ne pas vous laisser arrêter
par cette objection. Outre que ces rêves d'angoisse ont besoin d'être
interprétés avant qu'on puisse les juger, il faut dire que l'angoisse en
général ne tient pas seulement au contenu du rêve, ainsi qu'on se l'imagine
quand on ignore ce qu'est l'angoisse des névrosés. L'angoisse est un refus que
le « moi » oppose aux désirs refoulés devenus puissants ; c'est
pourquoi sa présence dans le rêve est très explicable si le rêve exprime trop
complètement ces désirs refoulés.
Vous voyez que l'étude du rêve se justifierait déjà par les
éclaircissements qu'elle apporte sur des réalités qui, autrement, seraient
difficiles à comprendre.
Or, nous y sommes parvenus au cours du traitement psychanalytique des névroses.
D'après ce que nous avons dit jusqu'ici, il est facile de voir que
l'interprétation des rêves, quand elle n'est pas rendue trop pénible par les
résistances du malade, conduit à découvrir les désirs cachés et refoulés, ainsi
que les complexes qu'ils entretiennent.
Sigmund Freud, Cinq leçons de psychanalyse (1910) traduction Y. Le Lay, PBP, 1966.