vendredi 28 juin 2013

Dimanche à Orly


A l´escalier C, bloc 21,
J´habite un très chouette appartement
Que mon père, si tout marche bien,
Aura payé en moins de vingt ans.
On a le confort au maximum,
Un ascenseur et un´ sall´ de bain.
On a la télé, le téléphone
Et la vue sur Paris, au lointain.
Le dimanche, ma mère fait du rangement
Pendant que mon père, à la télé,
Regarde les sports religieusement
Et moi j´en profit´ pour m´en aller.
Je m´en vais l´ dimanche à Orly.
Sur l´aéroport, on voit s´envoler
Des avions pour tous les pays.
Tout l'après-midi… Y'a de quoi rêver.
Je me sens des fourmis dans les idées
Quand je rentre chez moi la nuit tombée.
A sept heures vingt-cinq, tous les matins,
Nicole et moi, on prend le métro.
Comme on dort encore, on n´se dit rien
Et chacun s´en va vers ses travaux.
Quand le soir je retrouve mon lit,
J´entends les Bœing chanter là-haut.
Je les aime, mes oiseaux de nuit,
Et j´irai les retrouver bientôt.


Oui j´irai dimanche à Orly.
Sur l´aéroport, on voit s´envoler
Des avions pour tous les pays.
Pour toute une vie… Y a de quoi rêver.
Un jour, de là-haut, le bloc vingt et un
Ne sera qu´un tout petit point.

jeudi 27 juin 2013

Descartes & le rêve

Dans la première Méditation, Descartes conclut qu'il n'y a guère de différence significative entre l'état de veille et le sommeil. Toutefois, sa réflexion progresse et, dans la sixième, il reconnaît entre ces deux états une différence essentielle, qui réside dans la mémoire et la liaison des faits cognitifs et des images mentales.



Première méditation
Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s'en rencontre peut-être beaucoup d'autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen: par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d'une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n'est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils assurent constamment qu'ils sont des rois, lorsqu'ils sont très pauvres; qu'ils sont vêtus d'or et de pourpre, lorsqu'ils sont tout nus; ou s'imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.
Toutefois j'ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j'ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu'ils veillent. Combien de fois m'est-il arrivé de songer, la nuit, que j'étais en ce lieu, que j'étais habillé, que j'étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier; que cette tête que je remue n'est point assoupie; que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main et que je la sens: ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d'avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu'il n'y a point d'indices concluants, ni de marques assez certaines par où l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil, que j'en suis tout étonné; et mon étonnement est tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors.
Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités-ci, à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains, et choses semblables, ne sont que de fausses illusions; et pensons que peut-être nos mains, ni tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des peintures, qui ne peuvent être formées qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable; et qu'ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes. Car de vrai les peintres, lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement un certain mélange et composition des membres de divers animaux; ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais nous n'ayons rien vu de semblable, et qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose purement feinte et absolument fausse, certes à tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables.
Méditation sixième
[...] Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés, comme hyperboliques et ridicules, particulièrement cette incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvais distinguer de la veille: car à présent j'y rencontre une très notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu'elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés. Et, en effet, si quelqu'un, lorsque je veille, m'apparaissait tout soudain et disparaissait de même, comme font les images que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d'où il viendrait, ni où il irait, ce ne serait pas sans raison que je l'estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau et semblable à ceux qui s'y forment quand je dors, plutôt qu'un vrai homme. Mais lorsque j'aperçois des choses dont je connais distinctement et le lieu d'où elles viennent, et celui où elles sont, et le temps auquel elles m'apparaissent, et que, sans aucune interruption, je puis lier le sentiment que j'en ai, avec la suite du reste de ma vie, je suis entièrement assuré que je les aperçois en veillant, et non point dans le sommeil. Et je ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces choses-là, si après avoir appelé tous mes sens, ma mémoire et mon entendement pour les examiner, il ne m'est rien rapporté par aucun d'eux qui ait de la répugnance avec ce qui m'est rapporté par les autres. Car de ce que Dieu n'est point trompeur, il suit nécessairement que je ne suis point en cela trompé.
René Descartes, Méditations métaphysiques  1641

mercredi 26 juin 2013

J'ai pris au sérieux les inventions des poètes (Nerval)

Aurélia est commencé en 1841 et repris en 1853-54. Le personnage d'Aurélia semble résulter de la fusion entre deux femmes aimées par Nerval: Jenny Colon et Sophie Dawes. Nerval venait de perdre ces deux amours, Jenny Colon parce qu'elle s'était mariée en 1838 et Sophie Dawes parce qu'elle était morte en 1840.

Mucha, Salambo

Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; - le monde des Esprits s'ouvre pour nous.

Swedenborg appelait ces visions Memorabilia; il les devait à la rêverie plus souvent qu'au sommeil; l'Âne d'or d'Apulée, la Divine Comédie du Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l'âme humaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d'une longue maladie qui s'est passée tout entière dans les mystères de mon esprit; - et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées; il me semblait tout savoir, tout comprendre; l'imagination m'apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?...

Cette Vita nuova a eu pour moi deux phases. Voici les notes qui se rapportent à la première. - Une dame que j'avais aimée longtemps et que j'appellerai du nom d'Aurélia, était perdue pour moi. Peu importent les circonstances de cet événement qui devait avoir une si grande influence sur ma vie. Chacun peut chercher dans ses souvenirs l'émotion la plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l'âme par le destin; il faut alors se résoudre à mourir ou à vivre ; - je dirai plus tard pour quoi je n'ai pas choisi la mort. Condamné par celle que l'aimais, coupable d'une faute dont je n'espérais plus le pardon, il ne me restait qu'à me jeter dans les enivrements vulgaires; j'affectai la joie et l'insouciance, je courus le monde, follement épris de la variété et du caprice; j'aimais surtout les costumes et les murs bizarres des populations lointaines, il me semblait que je déplaçais ainsi les conditions du bien et du mal,; les termes, pour ainsi dire de ce qui est sentiment pour nous autres Français. « Quelle folie, me disais-je, d'aimer ainsi d'un amour platonique une femme qui ne vous aime plus ! Ceci est la faute de mes lectures; j'ai pris au sérieux es inventions des poëtes, et je me suis fait une Laure ou une Béatrix d'une personne ordinaire de notre siècle... Passons à d'autres intrigues, et celle-là sera vite oubliée. » L'étourdissement d'un joyeux carnaval dans une ville d'Italie chassa toutes mes idées mélancoliques. J'étais si heureux du soulagement que j'éprouvais, que je faisais part de ma joie à tous mes amis, et, dans mes lettres, le leur donnais pour l'état constant de mon esprit, ce qui n'était que surexcitation fiévreuse.

Un jour, arriva dans la ville une femme d'une grande renommée qui me prit en amitié et qui, habituée à plaire et à éblouir, m'entraîna sans peine dans le cercle de ses admirateurs. Après une soirée où elle avait été à la fois naturelle et pleine d'un charme dont tous éprouvaient l'atteinte, je me sentis épris d'elle à ce point que je ne voulus pas tarder un instant à lui écrire. J'étais si heureux de sentir mon cour capable d'un amour nouveau !... J'empruntais, dans cet enthousiasme factice, les formules mêmes qui, si peu de temps auparavant, m'avaient servi pour peindre un amour véritable et longtemps éprouvé. La lettre partie, j'aurais voulu la retenir, et j'allai rêver dans la solitude à ce qui me semblait une profanation de mes souvenirs. Le soir rendit à mon nouvel amour tout le prestige de la veille. La dame se montra sensible à ce que je lui avais écrit, tout en manifestant quelque étonnement de ma ferveur soudaine. J'avais franchi, en un jour, plusieurs degrés des sentiments que l'on peut concevoir pour une femme avec apparence de sincérité. Elle m'avoua que je l'étonnais tout en la rendant fière. J'essayai de la convaincre; mais quoi que je voulusse lui dire, je ne pus ensuite retrouver dans nos entretiens le diapason de mon style, de sorte que je fus réduit à lui avouer, avec larmes, que je m'étais trompé moi-même en l'abusant. Mes confidences attendries eurent pourtant quelque charme, et une amitié plus forte dans sa douceur succéda à clé vaines protestations de tendresse.

mardi 25 juin 2013

La reine des facultés (Baudelaire)

Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes : « Copiez la nature ; ne copiez que la nature. Il n’y a pas de plus grande jouissance ni de plus beau triomphe qu’une copie excellente de la nature. » Et cette doctrine, ennemie de l’art, prétendait être appliquée non seulement à la peinture, mais à tous les arts, même au roman, même à la poésie. A ces doctrinaires si satisfaits de la nature un homme imaginatif aurait certainement eu le droit de répondre : « Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. La nature est laide, et je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive. » Cependant il eût été plus philosophique de demander aux doctrinaires en question, d’abord s’ils sont bien certains de l’existence de la nature extérieure, ou, si cette question eût paru trop bien faite pour réjouir leur causticité, s’ils sont bien sûrs de connaître toute la nature, tout ce qui est contenu dans la nature. Un oui eût été la plus fanfaronne et la plus extravagante des réponses. Autant que j’ai pu comprendre ces singulières et avilissantes divagations, la doctrine voulait dire, je lui fais l’honneur de croire qu’elle voulait dire : L’artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon qu’il voit et qu’il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. Il doit éviter comme la mort d’emprunter les yeux et les sentiments d’un autre homme, si grand qu’il soit ; car alors les productions qu’il nous donnerait seraient, relativement à lui, des mensonges, et non des réalités. Or, si les pédants dont je parle (il y a de pédanterie même dans la bassesse), et qui ont des représentants partout, cette théorie flattant également l’impuissance et la paresse, ne voulaient pas que la chose fût entendue ainsi, croyons simplement qu’ils voulaient dire : « Nous n’avons pas d’imagination, et nous décrétons que personne n’en aura. »
Mystérieuse faculté que cette reine des facultés ! Elle touche à toutes les autres ; elle les excite, elle les envoie au combat. Elle leur ressemble quelquefois au point de se confondre avec elles, et cependant elle est toujours bien elle-même, et les hommes qu’elle n’agite pas sont facilement reconnaissables à je ne sais quelle malédiction qui dessèche leurs productions comme le figuier de l’Evangile.
Elle est l’analyse, elle est la synthèse ; et cependant des hommes habiles dans l’analyse et suffisamment aptes à faire un résumé peuvent être privés d’imagination. Elle est cela, et elle n’est pas tout à fait cela. Elle est la sensibilité, et pourtant il y a des personnes très sensibles, trop sensibles peut-être, qui en sont privées. C’est l’imagination qui a enseigné à l’homme le sens moral de la couleur, du contour, du son et du parfum. Elle a créé, au commencement du monde, l’analogie et la métaphore. Elle décompose toute la création, et, avec les matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf. Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens religieux), il est juste qu’elle le gouverne. Que dit-on d’un guerrier sans imagination ? Qu’il peut faire un excellent soldat, mais que, s’il commande des armées, il ne fera pas de conquêtes. Le cas peut se comparer à celui d’un poète ou d’un romancier qui enlèverait à l’imagination le commandement des facultés pour le donner, par exemple, à la connaissance de la langue ou à l’observation des faits. Que dit-on d’un diplomate sans imagination ? Qu’il peut très bien connaître l’histoire des traités et des alliances dans le passé, mais qu’il ne devinera pas les traités et les alliances contenus dans l’avenir. D’un savant sans imagination ? Qu’il a appris tout ce qui, ayant été enseigné, pouvait être appris, mais qu’il ne trouvera pas les lois non encore devinées. L’imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l’infini.
Sans elle, toutes les facultés, si solides ou si aiguisées qu’elles soient, sont comme si elles n’étaient pas, tandis que la faiblesse de quelques facultés secondaires, excitées par une imagination vigoureuse, est un malheur secondaire. Aucune ne peut se passer d’elle, et elle peut suppléer quelques-unes. Souvent ce que celles-ci cherchent et ne trouvent qu’après les essais successifs de plusieurs méthodes non adaptées à la nature des choses, fièrement et simplement elle le devine. Enfin elle joue un rôle puissant même dans la morale ; car, permettez-moi d’aller jusque-là, qu’est-ce que la vertu sans imagination ? Autant dire la vertu sans la pitié, la vertu sans le ciel ; quelque chose de dur, de cruel, de stérilisant, qui, dans certains pays, est devenu la bigoterie, et dans certains autres le protestantisme.
Malgré tous les magnifiques privilèges que j’attribue à l’imagination, je ne ferai pas à vos lecteurs l’injure de leur expliquer que mieux elle est secourue et plus elle est puissante, et, que ce qu’il y a de plus fort dans les batailles avec l’idéal, c’est une belle imagination disposant d’un immense magasin d’observations. Cependant, pour revenir à ce que je disais tout à l’heure relativement à cette permission de suppléer que doit l’imagination à son origine divine, je veux vous citer un exemple, un tout petit exemple, dont vous ne ferez pas mépris, je l’espère. Croyez-vous que l’auteur d’Antony, du Comte Hermann, de Monte-Cristo, soit un savant ? Non, n’est-ce pas ? Croyez-vous qu’il soit versé dans la pratique des arts, qu’il en ait fait une étude patiente ? Pas davantage. Cela serait même, je crois, antipathique à sa nature. Eh bien, il est un exemple qui prouve que l’imagination, quoique non servie par la pratique et la connaissance des termes techniques, ne peut pas proférer de sottises hérétiques en une matière qui est, pour la plus grande partie, de son ressort. Récemment je me trouvais dans un wagon, et je rêvais à l’article que j’écris présentement ; je rêvais surtout à ce singulier renversement des choses qui a permis, dans un siècle, il est vrai, où, pour le châtiment de l’homme, tout lui a été permis, de mépriser la plus honorable et la plus utile des facultés morales, quand je vis, traînant sur un coussin voisin, un numéro égaré de l’Indépendance belge. Alexandre Dumas s’était chargé d’y faire le compte rendu des ouvrages du Salon. La circonstance me commandait la curiosité. Vous pouvez deviner quelle fut ma joie quand je vis mes rêveries pleinement vérifiées par un exemple que me fournissait le hasard. Que cet homme, qui a l’air de représenter la vitalité universelle, louât magnifiquement une époque qui fut pleine de vie, que le créateur du drame romantique chantât, sur un ton qui ne manquait pas de grandeur, je vous assure, le temps heureux où, à côté de la nouvelle école littéraire, florissait la nouvelle école de peinture : Delacroix, les Devéria, Boulanger, Poterlet, Bonington, etc., le beau sujet d’étonnement ! direz-vous. C’est bien là son affaire ! Laudator temporis acti ! Mais qu’il louât spirituellement Delacroix, qu’il expliquât nettement le genre de folie de ses adversaires, et qu’il allât plus loin même, jusqu’à montrer en quoi péchaient les plus forts parmi les peintres de la plus récente célébrité ; que lui, Alexandre Dumas, si abandonné, si coulant, montrât si bien, par exemple, que Troyon n’a pas de génie et ce qui lui manque même pour simuler le génie, dites-moi, mon cher ami, trouvez-vous cela aussi simple ? Tout cela, sans doute, était écrit avec ce lâché dramatique dont il a pris l’habitude en causant avec son innombrable auditoire ; mais cependant que de grâce et de soudaineté dans l’expression du vrai ! Vous avez fait déjà ma conclusion : Si Alexandre Dumas, qui n’est pas un savant, ne possédait pas heureusement une riche imagination, il n’aurait dit que des sottises ; il a dit des choses sensées et les a bien dites, parce que… (il faut bien achever) parce que l’imagination, grâce à sa nature suppléante, contient l’esprit critique.
Il reste, cependant, à mes contradicteurs une ressource, c’est d’affirmer qu’Alexandre Dumas n’est pas l’auteur de son Salon. Mais cette insulte est si vieille et cette ressource si banale qu’il faut l’abandonner aux amateurs de friperie, aux faiseurs de courriers et de chroniques. S’ils ne l’ont pas déjà ramassée, ils la ramasseront.

Nous allons entrer plus intimement dans l’examen des fonctions de cette faculté cardinale (sa richesse ne rappelle-t-elle pas des idées de pourpre ?). Je vous raconterai simplement ce que j’ai appris de la bouche d’un maître homme, et, de même qu’à cette époque je vérifiais, avec la joie d’un homme qui s’instruit, ses préceptes si simples sur toutes les peintures qui tombaient sous mon regard, nous pourrons les appliquer successivement, comme une pierre de touche, sur quelques-uns de nos peintres.

Baudelaire, La Reine des Facultés, Salons de 1859


lundi 24 juin 2013

Jean Paul Richter, Carnets

Lorsque, vers le matin, grâce à mon expérience psychologique de l'entrée en sommeil, je me suis volontairement rendormi, une première rêverie... me donne la consolante pensée que je rêve. Aussitôt, j'en acquiers la certitude en tentant de voler, et en y parvenant. Ce vol, tantôt planant et tantôt montant tout droit, les bras battant l'air comme des rames, est pour le cerveau un véritable bain d'éther, voluptueux et reposant, — si ce n'était que le tournoiement trop rapide de mes bras de rêve me fait éprouver un vertige et craindre un engorgement du cerveau. Réellement heureux, exalté dans mon corps et mon esprit, il m'est arrivé de m'élever tout droit dans le ciel étoilé, saluant de mes chants l'édifice de l'univers.
Dans la certitude, à l'intérieur de mon rêve, de tout pouvoir, j'escalade à tire d'aile des murs hauts comme le ciel, afin de voir par-delà apparaitre soudain un immense paysage luxuriant; car (me dis-je alors), selon les lois de l'esprit et les désirs du rêve, l'imagination doit recouvrir de montagnes et de prairies tout l'espace d'alentour; et chaque fois elle le fait. Je grimpe sur des sommets, afin de m'en précipiter par plaisir; et je me souviens encore de la jouissance toute nouvelle que j'éprouvai lorsque, m'étant jeté du haut d'un phare dans la mer, je me berçai, fondu parmi les ondes écumantes à perte de vue.
Jean Paul Richter  Carnets   1800 Cité par Albert Béguin dans L'Ame romantique et le rêve


mardi 11 juin 2013

Le songe d'Athalie



Prêtez-moi l'un et l'autre (2) une oreille attentive.
      Je ne veux point ici rappeler le passé,
Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé.
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire.
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire.
Quoi que son insolence ait osé publier,
Le ciel même a pris soin de me justifier.
Sur d'éclatants succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers (3) respecter Athalie.
Par moi Jérusalem goûte un calme profond.
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages;
Le Syrien me traite et de reine et de soeur.
Enfin de ma maison le perfide oppresseur,
Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie (4).
De toutes parts pressé par un puissant voisin (5),
Que j'ai su soulever contre cet assassin,
Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse;
Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
De mes prospérités interrompre le cours.
Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe ?)
Entretient dans mon coeur un chagrin qui le ronge.
Je l'évite partout, partout il me poursuit.

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille ». En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser;
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux (6).

Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,Ma fille ». 
En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser;
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux (6).
Abner
Grands Dieux !Athalie
Dans ce désordre à mes yeux se présente
Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
Sa vue a ranimé mes esprits abattus.
Mais lorsque revenant de mon trouble funeste,
J'admirais sa douceur, son air noble et modeste,
J'ai senti tout à coup un homicide acier,
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
De tant d'objets divers le bizarre assemblage
Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage.
Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur (7).
Mais de ce souvenir mon âme possédée
A deux fois en dormant revu la même idée
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
Lasse enfin des horreurs dont j'étais poursuivie,
J'allais prier Baal de veiller sur ma vie,
Et chercher du repos au pied de ses autels.
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels ?
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée :

J'ai cru que des présents calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux.
Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
J'entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse.
Le grand prêtre vers moi s'avance avec fureur.
Pendant qu'il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu : son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin.
C'est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre;
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.
 Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?
Mathan
Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable.
Athalie, Racine,1691


(2) Athalie s'adresse à Mathan et à Abner. Le premier est un apostat, sacrificateur de Baal, ennemi des juifs; le second est au contraire un fidèle de Joad (qui vient justement de lui annoncer un grand événement qui aura lieu avant la fin du jour — la révélation que Joas n'est pas son fils, comme il le croit, mais le dernier descendant de David, le roi des juifs).
(3) La mer Rouge et la Méditerranée (annotation de G. Truc, p. 191, n. 1).
(4) Selon Raymond Picard, Racine aurait « inenté de toutes pièces cette géographie des triomphes de la reine » (p. 892, n. 1). On comprend qu'Athalie a soumis ses voisins et son principal opposant, le général Jéhu, qui n'ose sortir de Samarie, capitale du Royaume d'Israël, à quelque cinquante kilomètres de Jérusalem. Celui-ci a fait assassiner les descendants d'Achab, dont Athalie est la seule survivante.
(5) Ce puissant voisin est « Hazaël, roi de Syrie » (annotation de G. Truc, p. 191, n. 2). Source : 2 Rois, 8 : 28.
(6) Dans sa préface de la pièce, Racine a présenté l'événement évoqué ici : « Jehu extermina toute la postérité d'Achab, et fit jetter par les fenêtres Jézabel, qui, selon la prédiction d'Élie, fut mangée des chiens dans la vigne de ce même Naboth, qu'elle avait fait mourir autrefois pour s'emparer de son héritage ». Source : 1 Rois, chap. 21, « La vigne de Naboth; conduite criminelle d'Achab et de sa femme Jézabel ». Ce récit comprend en particulier les prophéties suivantes de l'Éternel à Élie, sur Achab : « Au lieu même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang » (21 : 19); sur Jézabel : « les chiens mangeront Jézabel près du rempart de Jizreel » (21 : 23). Ce dernier épisode se réalise en 2 Rois, 9 : 6-11, et surtout 30-37, « Jézabel précipitée d'une fenêtre à Jizreel ». Ce sont ces versets qui inspirent les images du songe d'Athalie : elle « mit du fard à ses yeux, se para la tête »; défenestrée, « il rejaillit de son sang sur la muraille et sur les chevaux »; plus tard, après le repas, « ils [les domestiques] allèrent pour l'enterrer, mais ne trouvèrent d'elle que le crâne, les pieds et les paumes des mains; ils retournèrent l'annoncer à Jéhu, qui dit : C'est ce qu'avait déclaré l'Éternel par son serviteur Élie, le Thischbite, en disant : Les chiens mangeront la chair de Jézabel dans le champ de Juzreel ».
(7) C'est l'explication la plus banale qui soit du songe également le plus trivial (non seulement le songe naturel, s'opposant aux phénomènes surnaturels, mais encore le songe de nature corporelle, sans même l'intervention de l'esprit ou de l'âme). Bref, il s'agit d'une manifestation strictement physiologique que les « vapeurs » des humeurs expriment en termes médicaux. On en trouve la même expression chez Jean Mairet et Pierre Corneille, formulée dans le songe de Pauline

lundi 10 juin 2013

La quête (Brel)


Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d´une possible fièvre
Partir où personne ne part

Aimer jusqu´à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D´atteindre l´inaccessible étoile

Telle est ma quête,
Suivre l´étoile
Peu m´importent mes chances
Peu m´importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l´or d´un mot d´amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s´éclabousseraient de bleu
Parce qu´un malheureux

Brûle encore, bien qu´ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s´en écarteler
Pour atteindre l´inaccessible étoile.



jeudi 6 juin 2013

Le songe de Joseph (Mathieu)


Georges de La Tour. , Le Songe de St. Joseph. c. 164. Musée des Beaux-Arts, Nantes, France

1.18 Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus Christ. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, se trouva enceinte, par la vertu du Saint Esprit, avant qu'ils eussent habité ensemble.
1.19 Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle.
1.20 Comme il y pensait, voici, un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit: Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient du Saint Esprit;
1.21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus; c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
1.22 Tout cela arriva afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète:
1.23 Voici, la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d'Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous.
1.24 Joseph s'étant réveillé fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme avec lui.
1.25 Mais il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

2.1Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem,
2.2et dirent: Où est le roi des Juifs qui vient de naître? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer.
2.3Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
2.4Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s'informa auprès d'eux où devait naître le Christ.
2.5Ils lui dirent: A Bethléhem en Judée; car voici ce qui a été écrit par le prophète:
2.6Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n'es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple.
2.7Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s'enquit soigneusement auprès d'eux depuis combien de temps l'étoile brillait.
2.8Puis il les envoya à Bethléhem, en disant: Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi moi-même l'adorer.
2.9Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l'étoile qu'ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s'arrêta.
2.10Quand ils aperçurent l'étoile, ils furent saisis d'une très grande joie.
2.11Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l'adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
2.12Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
2.13Lorsqu'ils furent partis, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit: Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu'à ce que je te parle; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr.
2.14Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte.
2.15Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: J'ai appelé mon fils hors d'Égypte.
2.16Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages.
2.17Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète:
2.18On a entendu des cris à Rama, Des pleurs et de grandes lamentations: Rachel pleure ses enfants, Et n'a pas voulu être consolée, Parce qu'ils ne sont plus.
2.19Quand Hérode fut mort, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Égypte,
2.20et dit: Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, et va dans le pays d'Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts.
2.21Joseph se leva, prit le petit enfant et sa mère, et alla dans le pays d'Israël.
2.22Mais, ayant appris qu'Archélaüs régnait sur la Judée à la place d'Hérode, son père, il craignit de s'y rendre; et, divinement averti en songe, il se retira dans le territoire de la Galilée,
2.23et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes: Il sera appelé Nazaréen.


Mathieu, Évangile



Rembrandt.Le Songe de St. Joseph. 1645. Huile sur panneau. Gemäldegalerie, Berlin, Allemagne.

lundi 3 juin 2013

Le songe de Pharaon


Gustave Doré
la Bible Ancien Testament
Joseph explique les songes du Pharaon
Dans la Genèse, premier livre de la Bible, Joseph, le fils de Jacob, est vendu en Egypte comme esclave. Pharaon, le souverain, est torturé par un rêve qu'il ne comprend pas. Il convoque Joseph qui lui en révèle le sens inquiétant

41.1    Au bout de deux ans, Pharaon eut un songe. Voici, il se tenait près du fleuve.
41.2    Et voici, sept vaches belles à voir et grasses de chair montèrent hors du fleuve, et se mirent à paître dans la prairie.
41.3    Sept autres vaches laides à voir et maigres de chair montèrent derrière elles hors du fleuve, et se tinrent à leurs côtés sur le bord du fleuve.
41.4    Les vaches laides à voir et maigres de chair mangèrent les sept vaches belles à voir et grasses de chair. Et Pharaon s'éveilla.
41.5    Il se rendormit, et il eut un second songe. Voici, sept épis gras et beaux montèrent sur une même tige.
41.6    Et sept épis maigres et brûlés par le vent d'orient poussèrent après eux.
41.7    Les épis maigres engloutirent les sept épis gras et pleins. Et Pharaon s'éveilla. Voilà le songe.
41.8    Le matin, Pharaon eut l'esprit agité, et il fit appeler tous les magiciens et tous les sages de l'Égypte. Il leur raconta ses songes. Mais personne ne put les expliquer à Pharaon.
41.9    Alors le chef des échansons prit la parole, et dit à Pharaon: Je vais rappeler aujourd'hui le souvenir de ma faute.
41.10  Pharaon s'était irrité contre ses serviteurs; et il m'avait fait mettre en prison dans la maison du chef des gardes, moi et le chef des panetiers.
41.11  Nous eûmes l'un et l'autre un songe dans une même nuit; et chacun de nous reçut une explication en rapport avec le songe qu'il avait eu.
41.12  Il y avait là avec nous un jeune Hébreu, esclave du chef des gardes. Nous lui racontâmes nos songes, et il nous les expliqua.
41.13  Les choses sont arrivées selon l'explication qu'il nous avait donnée. Pharaon me rétablit dans ma charge, et il fit pendre le chef des panetiers.
41.14  Pharaon fit appeler Joseph. On le fit sortir en hâte de prison. Il se rasa, changea de vêtements, et se rendit vers Pharaon.
41.15  Pharaon dit à Joseph: J'ai eu un songe. Personne ne peut l'expliquer; et j'ai appris que tu expliques un songe, après l'avoir entendu.
41.16  Joseph répondit à Pharaon, en disant: Ce n'est pas moi! c'est Dieu qui donnera une réponse favorable à Pharaon.
41.17  Pharaon dit alors à Joseph: Dans mon songe, voici, je me tenais sur le bord du fleuve.
41.18  Et voici, sept vaches grasses de chair et belles d'apparence montèrent hors du fleuve, et se mirent à paître dans la prairie.
41.19  Sept autres vaches montèrent derrière elles, maigres, fort laides d'apparence, et décharnées: je n'en ai point vu d'aussi laides dans tout le pays d'Égypte.
41.20  Les vaches décharnées et laides mangèrent les sept premières vaches qui étaient grasses.
41.21  Elles les engloutirent dans leur ventre, sans qu'on s'aperçût qu'elles y fussent entrées; et leur apparence était laide comme auparavant. Et je m'éveillai.
41.22  Je vis encore en songe sept épis pleins et beaux, qui montèrent sur une même tige.
41.23  Et sept épis vides, maigres, brûlés par le vent d'orient, poussèrent après eux.
41.24  Les épis maigres engloutirent les sept beaux épis. Je l'ai dit aux magiciens, mais personne ne m'a donné l'explication.
41.25  Joseph dit à Pharaon: Ce qu'a songé Pharaon est une seule chose; Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu'il va faire.
41.26  Les sept vaches belles sont sept années: et les sept épis beaux sont sept années: c'est un seul songe.
41.27  Les sept vaches décharnées et laides, qui montaient derrière les premières, sont sept années; et les sept épis vides, brûlés par le vent d'orient, seront sept années de famine.
41.28  Ainsi, comme je viens de le dire à Pharaon, Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu'il va faire.
41.29  Voici, il y aura sept années de grande abondance dans tout le pays d'Égypte.
41.30  Sept années de famine viendront après elles; et l'on oubliera toute cette abondance au pays d'Égypte, et la famine consumera le pays.
41.31  Cette famine qui suivra sera si forte qu'on ne s'apercevra plus de l'abondance dans le pays.
41.32  Si Pharaon a vu le songe se répéter une seconde fois, c'est que la chose est arrêtée de la part de Dieu, et que Dieu se hâtera de l'exécuter.
41.33  Maintenant, que Pharaon choisisse un homme intelligent et sage, et qu'il le mette à la tête du pays d'Égypte.
41.34  Que Pharaon établisse des commissaires sur le pays, pour lever un cinquième des récoltes de l'Égypte pendant les sept années d'abondance.
41.35  Qu'ils rassemblent tous les produits de ces bonnes années qui vont venir; qu'ils fassent, sous l'autorité de Pharaon, des amas de blé, des approvisionnements dans les villes, et qu'ils en aient la garde.
41.36  Ces provisions seront en réserve pour le pays, pour les sept années de famine qui arriveront dans le pays d'Égypte, afin que le pays ne soit pas consumé par la famine.
41.37  Ces paroles plurent à Pharaon et à tous ses serviteurs.
41.38  Et Pharaon dit à ses serviteurs: Trouverions-nous un homme comme celui-ci, ayant en lui l'esprit de Dieu?
41.39  Et Pharaon dit à Joseph: Puisque Dieu t'a fait connaître toutes ces choses, il n'y a personne qui soit aussi intelligent et aussi sage que toi.
41.40  Je t'établis sur ma maison, et tout mon peuple obéira à tes ordres. Le trône seul m'élèvera au-dessus de toi.