lundi 24 juin 2013

Jean Paul Richter, Carnets

Lorsque, vers le matin, grâce à mon expérience psychologique de l'entrée en sommeil, je me suis volontairement rendormi, une première rêverie... me donne la consolante pensée que je rêve. Aussitôt, j'en acquiers la certitude en tentant de voler, et en y parvenant. Ce vol, tantôt planant et tantôt montant tout droit, les bras battant l'air comme des rames, est pour le cerveau un véritable bain d'éther, voluptueux et reposant, — si ce n'était que le tournoiement trop rapide de mes bras de rêve me fait éprouver un vertige et craindre un engorgement du cerveau. Réellement heureux, exalté dans mon corps et mon esprit, il m'est arrivé de m'élever tout droit dans le ciel étoilé, saluant de mes chants l'édifice de l'univers.
Dans la certitude, à l'intérieur de mon rêve, de tout pouvoir, j'escalade à tire d'aile des murs hauts comme le ciel, afin de voir par-delà apparaitre soudain un immense paysage luxuriant; car (me dis-je alors), selon les lois de l'esprit et les désirs du rêve, l'imagination doit recouvrir de montagnes et de prairies tout l'espace d'alentour; et chaque fois elle le fait. Je grimpe sur des sommets, afin de m'en précipiter par plaisir; et je me souviens encore de la jouissance toute nouvelle que j'éprouvai lorsque, m'étant jeté du haut d'un phare dans la mer, je me berçai, fondu parmi les ondes écumantes à perte de vue.
Jean Paul Richter  Carnets   1800 Cité par Albert Béguin dans L'Ame romantique et le rêve


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire