HOMÈRE (VIIIe siècle
avant J.-C.), l’Iliade, chant XXIII, traduction de Victor Bérard
(1955),
Bibliothèque de la Pléiade. © Éditions Gallimard.
L’Iliade raconte, sur un mode épique, la guerre opposant Grecs et
Troyens. À la fin du récit, la mort de Patrocle, ami d’Achille, est l’occasion
de jeux funèbres au cours desquels s’affrontent les guerriers. Ces jeux rituels
peuvent être vus comme les précurseurs des Jeux Olympiques.
Sur leurs chevaux ensemble ils lèvent le fouet, les frappent de leurs
rênes, et, de la voix, avec ardeur ils les stimulent. Rapides, les coursiers s’éloignent
des vaisseaux et dévorent la plaine. Sous leur poitrail jaillit et monte la
poussière, à la façon d’une nuée ou d’une trombe. Sous le souffle du vent leurs
crinières voltigent. Vers le sol nourricier tantôt les chars s’abaissent, et
tantôt dans les airs on les voit qui bondissent. Les cochers sont debout,
droits sur les plateformes, et le cœur de chacun palpite du désir d’emporter la
victoire. Tous avec de grands cris excitent leurs chevaux, qui volent dans la plaine
à travers la poussière.
Mais voici le moment où les coursiers rapides reviennent vers la
mer à la fin de la course : c’est alors qu’apparaît la valeur de chacun, quand
les chevaux soudain allongent la foulée. Les juments d’Eumélos (1), petit-fils
de Phérès, filent droit vers le but. Derrière elles aussi filent les deux
chevaux que conduit Diomède (2), les étalons de Trôs (2), et c’est bien de tout
près, non de loin, qu’ils les suivent : sans cesse on croit qu’ils vont
escalader le char, et le dos d’Eumélos et ses larges épaules sont chauffés par
leur souffle, car ils volent en le touchant avec leurs têtes.
Alors le Tydéide (3)
aurait
passé devant, ou du moins eût rendu la victoire douteuse, si Phoebos (4) contre lui ne s’était irrité : il fait
choir de ses mains le fouet éclatant. Des larmes de dépit coulent des yeux du
preux5,
car il voit les juments accélérer encore, tandis que ses chevaux courent sans
aiguillon et perdent du terrain.
Mais Pallas Athéna
(6) s’aperçoit
qu’Apollon vient de causer du tort par fraude au Tydéide. À l’instant elle
accourt vers le pasteur de troupes, lui remet un fouet et fait croître la
fougue au cœur de ses chevaux. Puis vers le fils d’Admète (1), irritée, elle
vient et lui brise le joug qui tient son attelage. Aussitôt ses juments,
chacune d’un côté de la piste, s’écartent ; le timon glisse à terre ; Eumélos
roule à bas du char contre une roue ; il s’écorche le coude et la bouche et le nez
; il se blesse le front au-dessus des sourcils. Les pleurs voilent ses yeux, sa
voix forte défaille.
Le Tydéide alors l’évite et le dépasse. Ses robustes chevaux devancent
de beaucoup les autres attelages. À ses coursiers Pallas communique l’ardeur et
lui donne la gloire.
1.
Eumélos est le fils d’Admète.
2.
Diomède et Trôs sont des héros combattants de la guerre de
Troie.
3.
Le mot Tydéide désigne Diomède.
4.
Phoebos est Apollon.
5.
Vaillant combattant.
6. Déesse
de la sagesse.
Pour analyser le document
1. Expliquez en quoi ce récit
constitue un véritable compte rendu sportif.
À quoi le narrateur est-il particulièrement sensible ?
Que met-il en relief dans les deux premiers paragraphes ?
2. À partir du troisième paragraphe
du texte, quelle intervention vient modifier la course ? Que crée cette
intervention ? Que symbolise-t-elle ?
3. Que révèle ce récit concernant les
enjeux de la compétition et le comportement des participants ? Quelle réaction
de certains concurrents peut paraître étonnante ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire