ALBERT LONDRES (1884-1932),
Les Forçats de la route (articles parus dans Le
Petit Parisien du 22 juin au 20 juillet 1924).
Journaliste célèbre par la qualité de ses reportages et
par le prix qui porte son nom, Albert Londres a suivi le Tour de France de 1924
pour le journal Le Petit Parisien. Ses articles constituent un récit qui a pour titre Les Forçats de la route et
qui dépeint une course cycliste bien différente de celle de notre époque.
Le Havre, 22 juin 1924
Hier,
ils dînaient encore à onze heures et demie du soir, dans un restaurant de la
porte Maillot ; on aurait juré une fête vénitienne car ces hommes, avec leurs
maillots bariolés, ressemblaient de loin à des lampions.
Puis
ils burent un dernier coup. Cela fait, ils se levèrent et voulurent sortir,
mais la foule les porta en triomphe. Il s’agit des coureurs cyclistes partant
pour le Tour de France.
Pour
mon compte, je pris, à une heure du matin, le chemin d’Argenteuil1. Des « messieurs » et des « dames »
pédalaient dans la nuit ; je n’aurais jamais supposé qu’il y eût tant de
bicyclettes dans le département de la Seine.
Il
me répondit :
–
Il faut bien qu’il y en ait un qui commence.
Mais
soudain montèrent des cris de : « Fumier ! Nouveau riche ! »et « Triple bande d’andouilles
! »Je fus obligé de constater que, quoique étant seul, la triple bande d’andouilles
n’était autre que moi. Alors je vis que j’avais interrompu la marche de tout un
peuple passionné qui suivait les coureurs d’un pas olympique.
Il
faisait encore nuit, nous roulions depuis une heure et, cette fois, tout le
long d’un bois que nous traversions, de grands feux de, sauvages s’élevaient.
On aurait cru des tribus venant d’apprendre la présence d’un tigre dans le
voisinage : c’étaient des Parisiens qui, devant ces braseros, attendaient le
passage des « géants de la route ».
À
la lisière du bois, il y avait une dame grelottant dans son manteau de petit
gris3 et
un gentleman en chapeau claque4. Il était trois heures trente-cinq du matin.
Le
jour se lève et permet de voir clairement que, cette nuit, les
Français
ne sont pas couchés ; toute la province est sur les portes et en bigoudis.
Les
coureurs rament toujours. Le numéro 307 est le premier qui se ressente d’inquiétudes
de l’estomac. Il tire une miche d’une besace5
à lie de vin et dévore à grandes dents.
–
Mange pas de pain ! lui crie un initié, ça gonfle, mange du riz !
Mais
voilà qu’une garde-barrière coupe le peloton en deux : un train arrive. Cinq
gars qui n’ont pu passer sautent à terre, empoignent leur machine et traversent
la voie, devant la locomotive qui les frôle.
La
garde-barrière pousse un cri d’effroi… Les gars, déjà remis en selle, poussent
sur leurs pédales.
Montdidier,
arrêt, ravitaillement. Je m’approche du buffet.
Je
croyais que les géants allaient manger en paix et m’offrir un morceau… J’étais
jeune… Ils foncent sur des sacs tout préparés, se jettent sur des bols de thé,
m’écrasent les pieds, me pressent les flancs, crachent sur mon beau manteau et
décampent.
Pour analyser le document
1. Dites
de quoi il est question dans l’extrait proposé et sur quoi, particulièrement, le
journaliste met l’accent.
2. Énumérez
les différents épisodes rapportés par le journaliste puis déterminez
ce
qu’ils ont en commun. Caractérisez – en quelques mots – les points suivants :
les spectateurs et leur comportement, les actions et les comportements des
coureurs, le départ lui-même, le passage de la voie ferrée.
3. Vous
avez certainement vu des images télévisées du Tour actuel* : répertoriez les
différences perceptibles entre le Tour de 1924 et le Tour moderne.
Qu’est-ce qui frappe le plus dans ces différences ?
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